Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/405

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de s’en aller : je ne veux ni n’ose l’empêcher de retourner chez son père. — Si elle y retourne, » jura le duc intérieurement, « je ne veux de ma vie, ainsi que le dit sir Andrew, toucher la main d’une jolie femme ! » Alors reculant un peu, il dit quelques mots au musicien Empson, qui sortit un moment de la chambre, et revint presque immédiatement.

Le roi paraissait hésiter sur le rôle qu’il devait jouer dans une si étrange circonstance. Se reconnaître vaincu dans une intrigue galante, c’était se soumettre au ridicule de toute sa cour ; y persister par tous les moyens qui tenaient de la contrainte lui semblait une tyrannie, et, ce qu’il trouvait plus odieux peut-être, un acte peu digne d’un vrai gentilhomme. « Sur mon honneur ! jeune dame, » dit-il avec dignité, « vous n’avez rien à craindre dans cette maison. Mais il n’est pas séant que vous la quittiez d’une manière aussi brusque. Si vous voulez avoir la bonté d’attendre un quart-d’heure, la voiture de mistress Chiffinch sera à vos ordres, et vous conduira où vous désirerez. Épargnez-vous le ridicule, et à moi le chagrin de vous laisser voir quittant la maison d’un de mes serviteurs de la même manière que si vous vous échappiez d’une prison. »

Le roi parlait avec la sincérité que lui inspirait son bon naturel, et Alice, un instant fut tentée de suivre son avis, mais se rappelant qu’elle devait aller à la recherche de son père et de son oncle, ou, à leur défaut, de quelque asile respectable et sûr, elle réfléchit sur-le-champ que les domestiques de mistress Chiffinch n’étaient pas des guides assez fidèles pour qu’elle pût avec eux exécuter un tel dessein. Aussi annonça-t-elle avec respect et fermeté sa résolution de partir sans retard. Elle n’avait pas besoin, dit-elle, d’autre escorte que celle de M. Julien Peveril, qui était bien connu de son père, et qui s’offrait de l’accompagner ; encore cette protection ne lui était-elle nécessaire que jusqu’à ce qu’elle fût rentrée chez son père.

« Adieu donc, madame, au nom du ciel, dit le roi ; je suis fâché que tant de beauté soit accompagnée d’une si opiniâtre défiance. Quant à vous, monsieur Peveril, j’aurais imaginé que vos propres affaires vous occuperaient assez pour vous empêcher de vous mêler des caprices du beau sexe. Le soin de remettre toutes les demoiselles égarées dans le véritable sentier, surtout au train dont les choses vont dans cette bonne ville, est une tâche pénible pour votre jeunesse et votre inexpérience. »