Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/400

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vez-vous qui a enseigné la danse à cette jeune personne ? Quelques-uns de ses pas ressemblent à ceux de Lejeune de Paris. — Je pense qu’elle l’a apprise en pays étranger, sire, dit Julien. Pour moi, je suis chargé de quelques graves affaires concernant la comtesse, et je désirerais les communiquer à Votre Majesté. — Nous vous enverrons à notre secrétaire d’état, dit le roi. Mais cette danseuse veut-elle nous obliger une seconde fois ? Empson, maintenant je m’en souviens, c’est votre flûte qui la faisait danser. Jouez donc, et rendez la légèreté à ses pieds. »

Empson se mit aussitôt à jouer un air connu ; mais ainsi qu’il se l’était promis, il fit plus d’une note fausse, au point que le roi, dont l’oreille était très-juste, le réprimanda.

« Bélître, es-tu donc ivre de si bonne heure, ou prétends-tu te moquer de moi ? Tu penses être né pour battre la mesure, mais je vais te la faire battre sur les épaules[1]. »

La menace fut suffisante ; Empson eut soin de jouer son air de manière à conserver la haute réputation qu’il avait si justement acquise. Mais il ne produisit pas la moindre impression sur Fenella. Au lieu de rester debout, elle s’appuyait contre le mur de l’appartement, le visage aussi pâle que la mort, les bras et les mains pendants, et ne manifestait son existence que par les sanglots qui agitaient son sein, et par les pleurs qui s’échappaient de ses yeux à demi clos.

« Au diable ! dit le roi : quelque mauvais génie est venu ici ce matin, et ces femelles sont ensorcelées, je crois. Animez-vous, ma fille. Eh bien ! la belle, de nymphe t’es-tu métamorphosée en Niobé ? Si tu restes plus long-temps ainsi, tu deviendras véritablement un morceau de marbre. Qu’est-ce à dire, George ? auriez-vous lancé aussi une flèche de ce côté. »

Avant que Buckingham pût répondre à cette interpellation, Julien, se jetant aux genoux du roi, le pria de l’écouter, ne fût-ce que pour quelques minutes. « Cette jeune femme, dit-il, est depuis long-temps au service de la comtesse de Derby. Elle est privée de la faculté d’entendre et de parler. — Tu railles, mon garçon : elle qui danse si bien ? dit le roi ; non, tout le collège de Gresham ne me le ferait jamais croire. — J’aurais également considéré la chose comme impossible, sans ce que mes yeux ont pu voir aujourd’hui, répondit Julien. Mais permettez-moi, sire,

  1. I will have time beat into thee, dit le texte. a. m.