Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/398

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avait été la cause d’une si brusque introduction du duc en sa présence, au moment le plus inopportun. Dans cette cour pleine d’intrigues, ce n’était pas la première fois que Buckingbam avait osé entrer dans la lice galante contre son souverain, et c’était là ce qui rendait l’insulte actuelle beaucoup plus insupportable. Le dessein qu’il avait eu en se cachant dans ces appartements réservés était expliqué par les exclamations d’Alice ; et Charles, malgré la douceur de son caractère et l’empire habituel qu’il avait sur ses passions, fut aussi indigné de cette tentative de séduction envers celle qui avait été destinée à devenir sa maîtresse, qu’un sultan de l’Orient pourrait l’être de l’insolence d’un vizir assez audacieux pour acheter une belle esclave dont lui-même voulait faire l’acquisition. Les traits basanés de Charles se colorèrent vivement, et les muscles de son visage sombre se gonflèrent, lorsqu’il dit d’une voix altérée par la colère : « Buckingham, vous n’oseriez pas ainsi insulter votre égal ; quant à votre maître, vous pouvez avec sécurité lui faire tous les affronts : son rang retient son épée dans le fourreau. »

L’altier courtisan ne laissa pas ce reproche sans réponse. « Mon épée, » dit-il avec fierté, « n’est jamais restée dans le fourreau, lorsque le service de Votre Majesté a exigé qu’elle en fût tirée. — Votre Grâce veut dire, lorsque son secours a été nécessaire aux intérêts de son maître, répliqua le roi ; car vous ne pouviez gagner une couronne de duc qu’en combattant pour la couronne royale. Mais c’en est fait : je vous ai traité comme un ami, comme un compagnon, presque comme un égal ; et vous m’avez payé par l’outrage et l’ingratitude. — Sire, » répondit le duc avec fermeté, quoique avec respect, « je suis au désespoir de vous déplaire ; mais je suis heureux de me rappeler que, si vos paroles peuvent conférer des honneurs, elles ne peuvent ni les altérer ni les ôter. Il est dur, » ajouta-t-il en baissant la voix, de manière à n’être entendu que du roi, que les criailleries d’une péronnelle puissent effacer les services de tant d’années. — Il est encore plus dur, » dit le roi, du même ton, que tous deux gardèrent jusqu’à la fin de cette altercation, « que les beaux yeux d’une péronnelle puissent porter un seigneur des plus nobles à oublier les bienséances qu’on doit observer dans la demeure particulière de son souverain. — Oserai-je demander à Votre Majesté quelles sont ces bienséances ? » dit le duc.

Charles se mordit les lèvres pour ne pas sourire. « Buckingham, dit-il, ceci est une folie, et nous ne devons pas oublier