Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/373

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plus grande rigueur ; mais ce n’était qu’un faux semblant : la régularité extérieure de sa conduite, qui lui avait valu un grand renom et de l’influence dans le parti des gens graves (titre qu’ils avaient coutume de se donner), cachait des penchants voluptueux, qu’il satisfaisait à la dérobée avec ces délices qu’on trouve à savourer le fruit défendu. Tandis donc que sa piété apparente lui procurait des avantages mondains, ses plaisirs secrets le dédommageaient de l’austérité. La restauration, et la conduite violente de la comtesse contre son frère, mirent un terme à cette vie à la fois hypocrite et dissolue. Il s’enfuit alors de son île natale, brûlant du désir de venger la mort de William, seule passion étrangère à son intérêt privé qu’on lui ait jamais connue ; encore n’était-elle pas complètement sans égoïsme, puisqu’elle tendait à le rétablir dans ses anciens droits.

Il s’introduisit facilement auprès de Villiers, duc de Buckingham, lequel, du chef de sa femme, avait de grandes prétentions sur la partie des domaines de la famille de Derby qui avaient été concédés par le parlement au célèbre Fairfax, son beau-père. Le crédit de Buckingham à la cour de Charles, où une plaisanterie spirituelle était un meilleur titre à la faveur qu’une longue suite de services fidèlement rendus, fut mis en usage avec tant de succès, qu’il contribua beaucoup à l’abaissement de cette famille loyale et mal récompensée. Mais le duc était incapable, même dans son intérêt, de suivre avec constance le plan de conduite que lui suggérait Christian ; et ses irrésolutions sauvèrent probablement les restes des vastes domaines du comte de Derby.

Cependant Christian était un associé trop utile pour être congédié. Devant Buckingham et d’autres hommes de cette trempe, il n’affectait point de cacher le relâchement de ses mœurs ; mais, aux yeux du parti nombreux et puissant auquel il appartenait, il avait l’adresse de le déguiser sous une gravité apparente dont il ne se départait jamais. Il est vrai qu’à cette époque la cour était séparée de la ville par une ligne de démarcation si profonde, qu’un homme pouvait quelque temps jouer deux rôles contraires, comme dans deux mondes différents, sans qu’on s’aperçût dans l’un qu’il se montrait sous un aspect tout opposé dans l’autre. D’ailleurs, lorsqu’un homme de talent est regardé comme un auxiliaire habile et utile, son parti continue à le protéger et à l’accréditer, quand même sa conduite est le plus contraire aux principes qu’il devrait suivre. En pareil cas, on nie quelques faits, on en pallie quelques