Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/358

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le plus d’élégance et de la manière la plus nouvelle dans le chemin de la ruine, on voyait des hommes plus sérieux, des diplomates disgraciés, des espions politiques, des orateurs de l’opposition, des instruments serviles du gouvernement, toutes gens qui ne se rencontraient jamais ailleurs, et qui regardaient l’hôtel du duc comme une espèce de terrain neutre, certains que, s’il n’était pas aujourd’hui de leur opinion, il penserait probablement comme eux le lendemain. Les puritains eux-mêmes ne se faisaient pas scrupule d’avoir des relations avec un homme que ses talents auraient rendu formidable, quand même il n’y eût pas joint un rang élevé et une fortune immense. Plusieurs graves personnages, en habit noir, en manteau court, et portant une fraise d’une coupe particulière, se mêlaient, comme le font encore leurs portraits dans une galerie de tableaux, à des élégants couverts de soie et de broderies. Il est vrai qu’ils évitaient le soupçon scandaleux d’être amis intimes du duc ; car on présumait qu’ils ne venaient là que pour des affaires d’argent. Ces personnages sévères et pieux mêlaient-ils la politique aux discussions d’intérêt ? c’est ce que personne ne savait ; mais on avait déjà remarqué que les juifs, qui, en général, se bornent au métier de prêteurs d’argent, étaient devenus depuis quelque temps fort assidus au lever.

Il y avait plus d’une heure que la foule s’amassait dans l’antichambre, lorsque le gentilhomme de service chez le duc entra dans la chambre à coucher, fermée de manière à y produire la nuit en plein midi, et se présenta pour prendre les ordres de Sa Grâce. À sa voix douce et flûtée une voix aigre répondit d’un ton bref : « Qui est là ? quelle heure est-il ? — C’est Jerningham, milord. Il est une heure, et Votre Grâce a désigné onze heures à plusieurs des gens qui attendent là-bas. — Qui sont-ils ? que veulent-ils ? — Il y un messager de White-Hall, Votre Grâce. — Au diable ! qu’il se morfonde ! Ceux qui font attendre les autres doivent savoir attendre à leur tour. Si j’étais coupable d’impolitesse, ce serait plutôt envers un roi qu’envers un mendiant. — Il y a aussi des gens de la Cité. — Ils m’ennuient ; je suis fatigué de leurs airs hypocrites sans religion, de leur protestantisme sans charité. Dites-leur d’aller trouver Shaftesbury. Qu’ils aillent dans Aldersgate-Street, c’est là le marché qui convient à leur trafic. — Il y a un jockey de Newmarket, milord. — Qu’il monte sur le diable ! Il a un cheval à moi, et des éperons à lui. Est-ce tout ? — L’antichambre est pleine de chevaliers, d’écuyers, de docteurs et de