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Lance-Outram, dans la maison du garde forestier, et vivait là des économies de sa jeunesse et d’une petite pension que lui avait accordée sir Geoffrey en considération de son âge et de ses fidèles services.

Il s’en fallait beaucoup que dame Ellesmère et mistress Deborah eussent jamais été amies aussi intimes que cette prompte visite aurait pu le faire croire ; mais le temps avait appris à Deborah à oublier et à pardonner : et d’ailleurs peut-être n’était-elle pas fâchée, sous prétexte d’aller voir mistress Ellesmère, d’examiner le changement que les années avaient produit sur son ancien admirateur le garde forestier. Ils étaient tous les deux dans leur petite maison, lorsque Deborah, parée de sa plus belle robe, après avoir traversé la prairie, franchi la haie, et pris le petit sentier, frappa à la porte et souleva le loquet, en entendant l’invitation hospitalière qui lui fut faite d’entrer.

La vue de dame Ellesmère était tellement affaiblie que, même à l’aide de ses lunettes, elle ne put reconnaître, dans la femme mûre et presque majestueuse qui entrait, la jeune fille leste et bien faite qui, fière de sa bonne mine et de sa langue bien déliée, l’avait si souvent irritée par son insubordination. Son ancien amant, le redoutable Lance, ne se doutant pas que le fréquent usage de l’ale avait donné de la rotondité à sa taille, jadis souple et dégagée, et que la vertu de l’eau-de-vie avait transporté sur son nez les couleurs vermeilles qui brillaient autrefois sur ses joues, fut incapable de découvrir, sous le bonnet à la française que portait Deborah et la dentelle de Bruxelles qui ombrageait son visage, cette physionomie agaçante et futée qui lui avait valu tant de mercuriales de la part du docteur Dummerar, lorsque, pendant la prière ou le service, il permettait à ses yeux de se diriger vers le banc où se plaçait Deborah.

Enfin elle fut obligée en rougissant de se nommer ; et, une fois reconnue, elle fut reçue par la tante et le neveu avec la plus sincère cordialité.

On lui offrit l’ale brassée à la maison ; et les tranches de venaison que l’on y ajouta pouvaient faire conjecturer que Lance-Outram, en sa qualité de garde forestier, n’oubliait pas, en fournissant le garde-manger du château, de garnir aussi celui de sa maisonnette. Un modeste verre de l’excellente ale du Derbyshire et un morceau de venaison fortement assaisonnée eurent bientôt mis Deborah parfaitement à l’aise avec ses anciens amis.