Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/313

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resta sur son assiette sans qu’il y eût touché, et que tout son souper se composa d’une croûte de pain et d’un verre de vin.

Le repas se fit avec toute la célérité de gens qui regardent comme une honte, sinon comme un péché, de changer une jouissance purement matérielle en un moyen de consumer le temps ou de se procurer du plaisir ; et quand chacun s’essuya la bouche et les moustaches, Julien remarqua que l’étranger, objet de toute son attention, se servait d’un mouchoir de la plus fine batiste, ce qui était tout à fait incompatible avec la simplicité presque grossière de son extérieur. Il le vit de même, pendant le repas, affecter des manières recherchées qui n’étaient en usage qu’aux tables du plus haut rang, et il crut reconnaître dans chacun de ses mouvements un certain air de cour qui perçait sous l’extérieur simple et rustique dont il cherchait à s’envelopper.

Mais si c’était bien là réellement le même étranger qu’il avait rencontré la veille, et qui s’était vanté de jouer facilement tel ou tel rôle qu’il lui convenait, quel était le motif de ce dernier déguisement ? Il était, d’après ses propres paroles, un personnage de quelque importance, qui osait braver les dangers que l’on pouvait craindre de ces espions et de ces délateurs devant lesquels les hommes de tout rang tremblaient à cette époque ; on ne pouvait donc supposer que, sans une raison très-puissante, il se fût assujetti à une mascarade de ce genre ; car elle devait être fort désagréable à un homme qui, s’il fallait en juger par sa conversation, se montrait aussi léger et aussi indépendant dans ses actions que dans ses opinions. Était-il là pour quelque bon ou quelque mauvais motif ? sa présence avait-elle quelque rapport à son père, à lui-même ou à la famille de Bridgenorth ? le véritable caractère de Ganlesse était-il connu du maître de la maison, si rigoureux sur tout ce qui concernait la morale et la religion ? s’il ne le connaissait pas, les machinations d’un esprit aussi subtil ne pourraient-elles pas compromettre la paix et le bonheur d’Alice Bridgenorth ?

Telles étaient les questions que se faisait Peveril et auxquelles il était incapable de répondre. Ses regards erraient tour à tour d’Alice à l’étranger, et de nouvelles craintes, des soupçons confus qui avaient pour objet la sûreté de cette fille aimable et bien-aimée, se mêlaient aux inquiétudes qui agitaient déjà son esprit relativement à la destinée de son père et de sa famille.

Il était tout entier au trouble de son âme, lorsqu’après des