Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âge vous expose. Il se trouve ici des personnes qui doivent ignorer que vous vous connaissez : soyez donc prudents, et paraissez étrangers l’un à l’autre. »

Julien et Alice échangèrent furtivement un coup d’œil, tandis que le major se détournait pour prendre une lampe qui était à l’entrée du vestibule, et se dirigeait vers un appartement intérieur. Ces regards échangés étaient assez peu consolants. Celui d’Alice marquait la tristesse et la crainte, celui de Julien une incertitude pleine d’anxiété : d’ailleurs ils furent si rapides ! Alice, courant vers son père, prit la lampe qu’il tenait, et les précéda tous deux dans un vaste salon boisé en chêne, le même où Bridgenorth avait passé les longues heures d’abattement qui suivirent la perte de ses premiers enfants et de sa femme. Il était éclairé comme pour y recevoir de la compagnie, et cinq ou six personnes y étaient assises, vêtues du costume noir, simple et sévère, qu’affectaient les puritains de cette époque, témoignant de la sorte leur mépris pour le luxe de la cour de Charles II, où l’extravagance dans la parure n’était pas moins à la mode que les autres genres d’excès.

Julien ne jeta d’abord qu’un coup d’œil rapide sur les figures graves et austères qui composaient ce cercle. C’étaient peut-être des gens sincères dans leurs prétentions à une pureté supérieure de conduite et de morale ; mais cette pureté était ternie par une affectation d’austérité dans leur costume et dans leurs manières qui les faisait ressembler aux pharisiens de l’Écriture, lesquels mettaient en évidence leurs phylactères[1] et voulaient qu’on les vît jeûner et s’acquitter avec la ponctualité la plus rigoureuse de toutes les observances de la loi. Leur costume était presque uniforme : il se composait d’un manteau noir et d’un pourpoint de même couleur, coupé droit et étroitement fermé, sans galons ni broderies d’aucune espèce ; d’une culotte ou d’un pantalon noir en drap de Flandre, et de souliers carrés et noués avec de larges rubans de serge. Deux ou trois d’entre eux portaient de larges bottes de cuir de veau ; et presque tous avaient une longue rapière suspendue à un ceinturon uni, de peau de buffle ou de cuir noir. Quelques-uns des plus âgés, dont le temps avait éclairci la chevelure, avaient la tête couverte d’une calotte de soie ou de velours noir, qui, enveloppant le crâne, renfermait exactement tous les

  1. Espèce de préservatifs contre les tentations de l’esprit malin. Ce mot vient de φύλαξ, qui signifie gardien. a. m.