Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/295

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était près de la porte, les entendit parler à voix basse. Il est bon de faire remarquer que dame Raine, accoutumée à fléchir sous l’autorité du vieux Roger, qui était aussi jaloux d’exercer les prérogatives domestiques d’un mari qu’un monarque peut l’être d’exercer celles de la couronne, s’était trouvée si embarrassée de son état de veuvage et de sa nouvelle indépendance, qu’elle avait pris le parti de recourir dans toutes les occasions à l’avis de Matthieu Chamberlain ; et comme Matthieu Chamberlain, au lieu de marcher les pieds nus et d’avoir la tête couverte d’un bonnet de laine rouge, commençait à porter des souliers de cuir d’Espagne et un chapeau à haute forme, au moins le dimanche ; que de plus il se faisait appeler maître Matthieu par ses camarades, les voisins en concluaient que l’enseigne de l’auberge éprouverait bientôt quelque changement ; car Matthieu était une espèce de puritain, et n’était nullement ami des Peveril du Pic.

« Eh bien ! conseillez-moi donc si vous êtes un homme, Matthieu Chamberlain, dit la veuve Raine ; car je veux mourir si ce n’est pas monsieur Julien lui-même qui est ici. Il demande un cheval, et puis je ne sais quoi, comme si tout allait de même qu’à l’ordinaire. — Eh bien ! dame Raine, si vous suivez mon conseil, vous le ferez déguerpir ; qu’il secoue ses bottes pendant qu’elles sont neuves : il ne faut pas s’échauder les doigts dans le bouillon des autres. — Vraiment, c’est bien parler, dit dame Raine ; mais voyez-vous, Matthieu, nous avons mangé le pain de ces gens-là, et comme mon pauvre homme avait coutume de dire… — Eh bien ! dame Raine, ceux qui veulent les avis des morts n’ont pas besoin d’en demander aux vivants : faites ce qu’il vous conviendra ; mais si vous voulez suivre mes conseils, fermez la porte, tirez le verrou, et ordonnez-lui d’aller chercher un gîte ailleurs. — Je ne demande rien, drôle, dit Peveril ; je veux savoir seulement comment se porte sir Geoffrey et son épouse. — Hélas ! hélas ! » fut la seule réponse qu’il reçut de l’hôtesse, et la conversation entre elle et son Chamberlain recommença, mais sur un ton trop bas pour que Julien l’entendît.

« Monsieur, » dit enfin Chamberlain à haute voix et d’un ton d’autorité, « nous n’ouvrons point les portes à une heure aussi indue ; cela serait contraire au bon ordre : il pourrait nous en coûter cher. Quant au château, la route est devant vous, et je pense que vous la connaissez aussi bien que nous. — Et je vous connais aussi, » dit Peveril en remontant sur son cheval harassé ;