Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/293

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et jamais elle ne s’était éclipsée, même pendant les revers que sir Geoffrey avait éprouvés. Souvent on lui avait entendu dire et jurer que, tant qu’il lui resterait un arpent de bois, le vieux fanal ne manquerait jamais d’être alimenté. Son fils Julien n’ignorait rien de tout cela : ce fut donc avec autant de surprise que d’inquiétude qu’en portant ses regards dans la direction du château il n’aperçut pas la lumière de la tour. Il s’arrêta, se frotta les yeux, changea de position, et s’efforça vainement de se persuader qu’il s’était mépris sur le point d’où l’étoile polaire de sa maison était visible, ou que quelque obstacle nouvellement survenu, tel que la croissance de plusieurs arbres, ou la construction de quelque édifice, en interceptait la lumière. Mais un moment de réflexion le convainquit que la situation élevée du château de Martindale, qui dominait tous les environs, rendait cette supposition invraisemblable ; et la conséquence qu’il en tira fut que son père était mort, ou que quelque malheur étrange était tombé sur la famille, et avait fait oublier l’antique et solennelle coutume.

En proie à des craintes indéfinissables, le jeune Peveril enfonça l’éperon dans les flancs de son cheval, et le força, malgré la fatigue et l’épuisement, à descendre presque au galop le sentier escarpé qui conduisait au village de Martindale-Moultrassie. Il y arriva bientôt, impatient d’apprendre la cause de cette éclipse de mauvais augure. La rue que son cheval parcourait était alors déserte, et à peine apercevait-on la clarté d’une chandelle briller de temps en temps à travers la fenêtre d’une maison ; il n’y avait que celles de la petite auberge Aux Armes de Peveril dont l’éclat fût remarquable ; et le bruit de plusieurs voix annonçait la joie grossière de quelques rustres en débauche.

Le coursier harassé s’arrêta subitement devant la porte de cette maison, guidé par l’instinct ou par l’expérience, qui fait reconnaître à tout cheval l’extérieur d’une auberge. Quoique Julien fût pressé, il se détermina à mettre pied à terre, jugeant qu’il valait mieux demander un cheval frais à Roger Raine, le maître de l’auberge, qui était un ancien partisan de sa famille. Il lui tardait d’ailleurs de se tirer d’inquiétude en faisant quelques questions sur l’état actuel du château et de ses habitants. Mais, au moment d’entrer, il fut surpris d’entendre dans la salle destinée au public des voix qui entonnaient une chanson bien connue, composée sous la république par quelque bel esprit puritain contre les cavaliers, et dans laquelle son père n’était pas épargné.