Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/268

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« Voici le vin des Canaries, messieurs, le meunier a arrêté le moulin pour venir vous servir lui-même. C’est ce qu’il fait toujours quand ses hôtes boivent du vin. — Et cela pour avoir la part de l’hôte, ou plutôt la part du lion, » dit l’étranger en regardant Peveril. — Si le meunier veut sa part du flacon, dit Julien, j’en demanderai de bon cœur un autre pour lui et pour vous, monsieur, je ne viole jamais les vieux usages. »

Ces paroles frappèrent l’oreille de maître Whitecraft, qui entrait alors dans la chambre. Il avait la tournure on ne peut plus convenable à son robuste métier, et paraissait disposé à jouer le rôle d’hôte civil ou grossier, selon que la compagnie qu’il avait chez lui serait plus ou moins agréable. Il n’eut pas plutôt entendu les paroles de Julien qu’il ôta son bonnet poudreux, et secoua sa manche couverte de farine, puis, s’asseyant à l’extrémité d’un banc placé à quelque distance de la table, il remplit un verre de vin des Canaries, et but à la santé de ses hôtes, spécialement à celle de ce noble gentilhomme, en indiquant Peveril, qui avait demandé la seconde bouteille.

Julien répondit à cette politesse en buvant à la santé du meunier, et en lui demandant quelle nouvelle courait dans le pays.

« Aucune, monsieur, aucune ; si ce n’est ce complot, comme ils l’appellent, au sujet duquel on poursuit les papistes. Mais cela fait venir l’eau à mon moulin, comme dit le proverbe ; les exprès qu’on envoie çà et là, les gardes et les prisonniers qu’on fait aller de côté et d’autre, les voisins qui s’accoutument à venir tous les soirs, je pourrais même dire toutes les nuits, pour causer de nouvelles, au lieu de n’y venir qu’une fois par semaine comme auparavant, tout cela fait tourner le robinet, messieurs, et votre hôte en profite. Aussi, comme constable et protestant bien connu, j’ai dû, sans exagérer, mettre en perce au moins dix tonneaux de bière d’extraordinaire, sans compter un débit de vin fort raisonnable pour un coin de terre comme celui-ci. Grâces en soient rendues au ciel, et puisse-t-il préserver tous les bons protestants des complots des papistes ! — Je conçois sans peine, mon ami, dit Julien, que la curiosité conduise naturellement au cabaret, et que la colère, la haine et la crainte soient toutes des passions fort altérées et grandes consommatrices de bière. Mais je suis tout à fait étranger dans ce pays, et je voudrais bien apprendre d’un homme sensé comme vous quelque chose de ce complot dont on parle tant et que l’on paraît comprendre si peu. — Si peu ! dites-