Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/265

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le corps et sans quitter la fenêtre, il lui sembla remarquer que l’étranger, se croyant sûr de ne pas être observé, s’était doucement approché de l’hôtesse et lui avait glissé dans la main une pièce d’argent. Le changement de ton de la meunière le confirma dans cette idée.

« Au surplus, dit-elle, ma maison est celle de la liberté ; il doit en être de même de toute maison publique. Que m’importe ce qu’on y mange, ou ce qu’on y boit, pourvu que je sois payée honorablement ? Il y a beaucoup de braves gens dont l’estomac ne peut digérer le lard et la graisse, surtout un vendredi ; mais tout cela m’est égal dès que je suis honnêtement récompensée de mes peines. Ce que je veux dire, c’est que d’ici à Liverpool on ne saurait trouver de meilleur lard et de meilleurs œufs que chez moi ; et cela je le soutiendrais à la vie et à la mort. — Je suis loin de vouloir vous le contester, dit l’étranger ; » et se tournant vers Julien : « Je désire, ajouta-t-il, que monsieur, qui doit sans doute être mon compagnon de table, trouve de son goût les excellentes choses que je ne puis l’aider à manger. — Je vous assure, monsieur, » dit Peveril, qui se vit alors forcé de se retourner et de répondre, « que c’est avec difficulté que je suis parvenu à faire ajouter mon couvert au vôtre, et que votre hôtesse ne s’est déterminée qu’avec peine au sacrifice des œufs et du lard qu’elle est si impatiente en ce moment de voir consommer. — Je ne suis impatiente, reprit l’hôtesse, que de voir mes hôtes manger ce que je leur sers, et payer leur écot, et si dans un seul plat il y a suffisamment pour deux, je ne vois pas la nécessité d’en apprêter un second. Quoi qu’il en soit, les voilà prêts l’un et l’autre… Alice ! Alice ! »

Ce nom si bien connu fit tressaillir Julien ; mais l’Alice qui vint à cet appel ne ressemblait guère à l’objet aimable dont le souvenir s’offrait à l’imagination de Peveril : c’était une grosse servante mal tournée, chargée des plus bas emplois de l’auberge. Elle aida sa maîtresse à mettre les plats sur la table, et un pot d’ale mousseuse, brassée au moulin, fut placé au milieu. Dame Whitecraft répondit de sa qualité : « Car, dit-elle, nous savons par expérience que trop d’eau noie le meunier, et nous l’épargnons dans notre bière comme sous la roue de notre moulin. — Je bois donc à votre santé, dame Whitecraft, dit l’étranger, ainsi qu’à l’oubli de notre petite altercation, et je vous remercie de votre excellent poisson. — Je vous rends grâces, monsieur ; mais quant à vous