Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/264

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ce même homme fluet et mesquinement vêtu qui, pendant son premier marché avec Bridlesley, avait donné son avis d’une manière si officieuse. Déjà mécontent d’être obligé d’accepter la compagnie d’un étranger, Peveril le fut bien davantage en trouvant en lui un homme qui pouvait avoir quelque prétention à être de sa connaissance, et cela dans un moment où les circonstances le forçaient à beaucoup de réserve. Il lui tourna donc le dos, et feignit de s’amuser à regarder par la fenêtre, déterminé à éviter toute espèce de conversation, à moins qu’il n’y fût inévitablement contraint.

Pendant ce temps, l’étranger s’avança droit vers l’hôtesse tout occupée des soins du ménage, et lui demanda à quoi elle songeait de préparer des œufs au lard, quand il lui avait positivement recommandé de ne lui apprêter que du poisson.

La bonne femme, prenant cet air d’importance qui distingue ordinairement toute personne revêtue des hautes fonctions de la cuisine, affecta un moment de n’avoir pas entendu le reproche de son hôte, et lorsqu’il lui plut d’y faire attention, ce ne fut que pour répondre d’un ton magistral et fier que, s’il n’aimait pas le lard d’un porc qui avait été nourri de pois et de son, et les œufs de ses poules, frais pondus et recueillis de ses propres mains, c’était tant pis pour Son Honneur, et tant mieux pour ceux qui les aimaient. — Tant mieux pour ceux qui les aiment ! reprit l’hôte ; serait-ce donc que je dois avoir un compagnon de table, bonne femme ? — Ne prenez pas la peine, monsieur, de m’appeler bonne femme avant que j’aie pris celle de vous appeler bon homme, dit l’hôtesse ; et je vous certifie que beaucoup de gens se feraient scrupule de donner ce nom à qui refuse de manger des œufs au lard le vendredi. — Ne donnez pas une mauvaise interprétation à mes paroles, ma bonne hôtesse ; je ne doute pas que votre lard et vos œufs ne soient excellents, mais c’est une nourriture trop pesante pour mon estomac. — Et pour votre conscience aussi, peut-être, répondit l’hôtesse. Et maintenant que j’y songe, vous désiriez sans doute que votre poisson fut assaisonné à l’huile, au lieu de la bonne graisse que j’allais y mettre. Je voudrais bien savoir ce que tout cela signifie ; mais je réponds que John Bigstaff, le constable, pourrait en expliquer quelque chose. »

Il se fit un moment de silence. Julien, assez alarmé de la tournure que prenait cette conversation, tâcha d’épier le jeu muet qui y succéda. Portant un peu la tête à gauche, mais sans tourner