Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/255

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wechselbalg. J’en ai vu une à Cologne, moi : elle était deux fois grosse comme cette jeune fille. Elle grugeait les pauvres gens avec qui elle vivait ; elle dévorait tout, comme fait le coucou dans le nid du moineau. Mais cette Fenella ne mange pas plus que les autres filles : ce n’est pas là une wechselbalg. »

Julien tirait bien la même conclusion, mais par une suite de raisonnements fort différents. Tandis que le capitaine lui parlait, il réfléchissait que la flexibilité singulière des membres de cette malheureuse fille et l’agilité de ses mouvements provenaient du rude apprentissage qu’elle avait fait sous Adrien Brackel, et il songeait avec un sentiment pénible que c’était pendant cette enfance, errante et aventureuse, qu’elle avait reçu le germe de ses passions fantasques et capricieuses. Nourri dans les préjugés aristocratiques, Julien trouva dans ces anecdotes sur la première condition de Fenella de nouveaux motifs de se féliciter qu’on l’eût débarrassé d’elle, et cependant il aurait désiré que le capitaine lui donnât encore d’autres détails sur le même sujet. Mais celui-ci avait dit tout ce qu’il savait. Il ignorait quels étaient les parents de la jeune fille : seulement il fallait que son père fût un misérable, un damné coquin, pour avoir vendu sa chair et son sang à Adrien Brackel ; car ce n’était qu’à prix d’argent que le jongleur était devenu possesseur de la jeune muette.

Cette conversation servit à éloigner tous les doutes qui avaient commencé à s’élever dans l’esprit de Peveril sur la fidélité du capitaine, puisqu’il paraissait avoir connu autrefois la comtesse, et avoir eu quelque part à sa confiance. Le geste menaçant de Fenella ne lui parut mériter aucune attention sérieuse, et il ne le regarda plus que comme une nouvelle preuve de son caractère irritable.

Il s’amusait à se promener sur le pont, réfléchissant aux événements passés de sa vie, et à ceux que l’avenir lui préparait, mais bientôt son attention fut forcée de changer d’objet. Le vent, qui commençait à s’élever du nord-ouest par bouffées, était tout à fait contraire à la marche que le bâtiment devait suivre, et le capitaine, après beaucoup d’efforts pour y résister, déclara que son sloop, qui n’était pas excellent voilier, était hors d’état de gagner le port de Whitehaven, et que, forcé de suivre le vent, il allait se diriger vers Liverpool. Peveril ne fit aucune objection. Son voyage par terre en serait un peu moins long dans le cas où il se rendrait au château de son père ; et, de façon ou d’autre, les intérêts de la comtesse n’en souffriraient nullement.