Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/234

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La comtesse était occupée à écrire, et plusieurs lettres étaient ouvertes devant elle, lorsque Julien entra dans l’appartement. Elle le reçut avec sa bonté ordinaire, puis l’ayant engagé à s’asseoir, elle fit signe à la muette de reprendre son aiguille. Fenella s’assit à l’instant devant un métier à broder ; et, sans le mouvement de ses doigts agiles, elle aurait pu passer pour une statue, tant sa tête et ses yeux étaient fixés attentivement sur son ouvrage ! Sa surdité la rendait le témoin le moins inoffensif des conversations les plus confidentielles ; aussi la comtesse commença-t-elle à parler à Peveril comme s’ils eussent été absolument seuls.

« Julien, lui dit-elle, je n’ai pas dessein de me plaindre à vous des sentiments et de la conduite de Derby. Il est votre ami, il est mon fils. Il a un excellent cœur, de la vivacité, des talents, et pourtant… — Chère lady, répondit Peveril, pourquoi vous créer des tourments, en arrêtant votre pensée sur des défauts qui proviennent bien plus du changement des temps et des mœurs, que d’aucun vice né dans le cœur de mon noble ami ? Attendez que l’occasion de remplir son devoir se présente à lui, soit en paix soit en guerre, et punissez-moi s’il ne se comporte pas alors comme l’exige sa haute naissance. — C’est bien, répondit la comtesse ; mais quand donc le sentiment de ce devoir sera-t-il enfin plus puissant que l’attrait des plaisirs futiles et communs dans lesquels s’écoulent ses heures oisives ? Le caractère de son père était d’une autre trempe : combien de fois n’ai-je pas été forcée de le supplier de s’épargner, de ne pas s’acquitter avec une exactitude aussi sévère des nobles devoirs imposés par son rang, et de prendre le repos nécessaire pour réparer sa santé et ses forces morales ! — Très-chère lady, reprit Peveril, vous devez convenir que les devoirs auxquels les circonstances appelaient votre honorable époux étaient d’une nature plus pressante que ceux que votre fils est destiné à remplir. — Je ne conviens pas de cela, dit la comtesse, la roue semble de nouveau se mettre en mouvement, et l’époque actuelle peut ramener des scènes semblables à celles dont ma jeunesse a été témoin. Peu m’importe : elles ne trouveront pas Charlotte de la Trémouille dépourvue de courage, malgré le poids des années qui l’accable. C’est à ce sujet que je voulais vous parler, mon jeune ami. Dès le moment où je vous aperçus, depuis l’instant où je lus votre valeur s’annoncer dans vos regards enfantins ; le jour où, semblable à un fantôme, j’apparus dans le château de votre père, je me plus à vous considérer comme le véri-