Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/221

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apparaît sur la terre pour reprocher à un habitant de ce monde de n’avoir pas rempli la promesse faite dans une première rencontre. Mais la colère même la plus violente ne se manifestait en lui que par une froide réserve dans les manières et dans le langage.

« Je vous remercie, Alice, « dit-il à sa fille, « de la peine que vous avez prise de contrarier les projets que j’avais formés relativement à ce jeune homme et à vous-même. Je vous remercie des insinuations que vous avez glissées dans son esprit avant mon apparition, dont la soudaineté a seule empêché que vos confidences ne fussent poussées jusqu’au point de mettre ma vie et celles de plusieurs autres à la merci d’un jeune fou qui, lorsqu’il a devant les yeux la cause de Dieu et de son pays, n’a pas le temps d’y songer, tant il est occupé de la figure d’une jeune fille ! »

Alice, pâle comme la mort, restait immobile, le regard fixé vers la terre. Elle n’essaya pas de répondre un mot aux reproches ironiques de son père.

« Et vous, » continua le major Bridgenorth en regardant Julien, « vous avez bien répondu à la généreuse confiance que j’avais placée en vous avec si peu de réserve. J’ai aussi à vous remercier de m’avoir donné une leçon qui peut m’apprendre à rester satisfait du sang roturier qui coule dans mes veines et de l’éducation rustique que mon père m’a donnée. — Je ne vous comprends pas, monsieur, » répondit Julien Peveril, qui, forcé de dire quelque chose, était hors d’état en ce moment de trouver une réponse plus convenable.

« Oui, monsieur, je vous remercie, » dit le major Bridgenorth avec le même ton de froideur et de sarcasme. « Je vous remercie de m’avoir appris que l’oubli des droits de l’hospitalité, le manque de bonne foi, et autres peccadilles de cette espèce, ne sont pas étrangers au cœur et à la conduite de l’héritier d’une noble famille qui compte vingt générations. C’est une grande leçon pour moi, monsieur ; car jusqu’ici j’avais cru, avec le vulgaire, que la noblesse des sentiments marchait de front avec la noblesse du sang. Mais peut-être la loyauté est-elle une vertu trop chevaleresque pour être prodiguée dans les relations que l’on peut avoir avec un fanatique, une tête-ronde comme moi. — Major Bridgenorth, dit Julien, bien que ce qui s’est passé dans cette entrevue ait pu vous déplaire, c’est le résultat des sentiments tout à coup exaltés par la force de la circonstance présente. Rien n’a été prémédité. — Pas même votre rendez-vous, je suppose ? » reprit le