Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/212

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poir qu’un homme aussi raisonnable, aussi calme qu’il avait paru l’être dans leur dernière conférence, n’hésiterait pas à changer de dessein quand il saurait que la comtesse était avertie de ses intrigues, et à faire cesser, en se retirant de l’île, les dangers auxquels il exposait la comtesse ainsi que lui-même. Il ne doutait pas que, s’il parvenait à le convaincre, il ne rendît un service essentiel au père de sa bien-aimée, au comte, qu’il délivrerait d’une pénible inquiétude, et à la comtesse, en l’empêchant de mettre une seconde fois sa juridiction féodale en opposition directe avec celle de la couronne d’Angleterre.

Ce plan de médiation une fois bien arrêté dans son esprit, Peveril résolut de se débarrasser de la résistance de Fenella à quelque prix que ce fût ; et, sans autre cérémonie, l’enlevant entre ses bras avant qu’elle pût se douter de son projet, il se retourna, la posa sur les marches de l’escalier qui se trouvaient au-dessus de lui, et se mit ensuite à descendre avec toute la rapidité possible. Ce fut alors que la petite muette donna un libre cours à toute la violence de son caractère : frappant des mains à plusieurs reprises, elle exprima sa colère par un cri si discordant, qu’il ressemblait plutôt à celui d’un animal sauvage qu’à la voix d’une créature humaine. Ce cri, qui fut répété par les échos, effraya tellement Peveril qu’il ne put s’empêcher de s’arrêter et de se retourner pour s’assurer qu’il ne lui était pas arrivé quelque accident. Il la vit debout, le visage enflammé et défiguré par la colère. Elle frappa du pied, lui montra le poing, et, tournant le dos brusquement, sans lui faire d’autres adieux, elle remonta les marches élevées de l’escalier avec la légèreté d’une chèvre qui gravit un rocher, et s’arrêta un moment sur le premier palier.

Julien ne put éprouver que surprise et compassion à la vue de la colère impuissante d’un être que des circonstances funestes avaient comme isolé du genre humain, et privé dans son enfance des instructions salutaires par lesquelles nous apprenons à dompter nos passions désordonnées avant qu’elles aient acquis toute leur force. Il lui adressa de la main un adieu amical ; mais elle ne lui répondit qu’en le menaçant de nouveau du poing ; puis, achevant de monter l’escalier avec une vitesse presque surnaturelle, elle disparut.

Julien, de son côté, ne s’amusa pas à faire de plus amples réflexions sur cette étrange conduite et sur les motifs qui l’avaient dictée ; mais se hâtant de courir au village, où étaient situées les