Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/210

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aussitôt, lui répondit en étendant également le bras, pour lui faire entendre qu’il allait à une distance considérable. Fenella prit un air grave, secoua la tête, et montra la fenêtre de la comtesse, qu’on pouvait apercevoir de l’endroit où ils étaient. Peveril sourit, et lui fit un signe qu’il n’y avait aucun danger à quitter sa maîtresse pour si peu de temps. La jeune fille toucha alors une plume d’aigle qu’elle portait dans ses cheveux, emblème par lequel elle désignait ordinairement le comte, et adressant de nouveau à Julien son regard interrogateur, elle parut lui dire : « Va-t-il avec vous ? » Peveril répondit par un signe négatif, et, assez contrarié de cet interrogatoire qui le retenait malgré lui, il fit en souriant un effort pour passer. Fenella fronça le sourcil, frappa perpendiculairement la terre de l’extrémité de sa baguette d’ébène, secoua la tête de nouveau comme pour lui défendre de partir. Mais voyant que Julien persistait dans son dessein, elle recourut à un moyen plus doux : elle le retint d’une main par son manteau, et leva l’autre comme pour l’implorer, tandis que tous les traits de son joli visage prirent l’expression de la supplication ; et que le feu de ses grands yeux noirs, qui d’ordinaire semblait presque trop ardent pour la petite sphère qu’il animait, parut s’éteindre un moment dans de grosses larmes qui roulèrent sur le bord des longs cils dont ses paupières étaient ornées.

Julien Peveril était bien éloigné de ne porter aucun intérêt à la pauvre fille, qui, en s’opposant à son départ, ne paraissait avoir d’autre motif qu’une vive inquiétude pour le salut de sa maîtresse. Il s’efforça donc de la rassurer par ses sourires et par tous les signes qu’il put imaginer pour lui faire entendre qu’aucun danger pressant ne menaçait la comtesse, et qu’il serait bientôt de retour ; puis, étant parvenu à dégager son manteau des mains de Fenella, il passa brusquement devant elle, et descendit l’escalier aussi rapidement qu’il le put, afin d’éviter de nouvelles questions.

Mais avec une promptitude bien supérieure à la sienne, la jeune muette, déterminée à lui intercepter de nouveau le passage, y réussit au risque de se briser quelque membre et même de perdre la vie. Elle se laissa glisser le long du mur élevé d’une batterie où étaient placés deux pierriers destinés à nettoyer le passage dans le cas où quelque ennemi parviendrait à cette hauteur. Julien frémit en la voyant glisser le long de ce parapet aussi légèrement que l’un de ces fils soyeux qui traversent l’air pendant les belles journées d’automne, et que l’on nomme vulgairement