Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/188

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« Ce n’est pas à moi que revient la gloire d’une telle action, dit-il ; je ne suis qu’un instrument fragile comme vous, entre les mains de celui qui est le Dieu fort, le Dieu libérateur. Apportez-moi de l’eau, pour que je puisse rafraîchir mon gosier desséché, avant d’offrir des actions de grâces à celui auquel elles sont dues. »

« J’étais près de lui tandis qu’il parlait, et ce fut moi qui lui présentai le verre d’eau qu’il demandait. En ce moment, nous échangeâmes un regard, et il me sembla que je reconnaissais un noble ami, que depuis long-temps je croyais dans le sein de la gloire éternelle. J’allais parler peut-être, mais il ne m’en laissa pas le temps. Fléchissant le genou, il nous fit signe de l’imiter, et adressa au ciel d’énergiques actions de grâces qui, prononcées d’une voix claire et retentissante comme le son d’une trompette de guerre, firent tressaillir chacun des auditeurs. J’ai assisté à bien des actes de dévotions dans ma vie, et plût au ciel que j’en eusse profité ! mais une prière telle que celle-là, prononcée au milieu des morts et des mourants, avec l’accent du triomphe et de l’adoration, était au-dessus de tout. Elle ressemblait au chant de la prophétesse inspirée qui habitait sous le palmier, entre Ramah et Bethel. Ensuite il garda un religieux silence, et pendant quelques minutes nous restâmes le visage penché vers la terre, aucun de nous n’osant lever la tête. Lorsque nous sortîmes de ce recueillement, nos yeux cherchèrent en vain le libérateur : il n’était plus parmi nous, et jamais on ne le revit. »

Ici Bridgenorth, qui avait mis dans le récit de cette histoire singulière une éloquence et une chaleur bien opposées à la sécheresse habituelle de sa conversation, s’arrêta un moment ; et reprit : « Tu vois, jeune homme, que les hommes doués de valeur et de discernement sont appelés à commander lorsque de grandes circonstances l’exigent, quoique souvent leur existence même soit ignorée de ceux qu’ils sont prédestinés à sauver. — Mais que pensa-t-on de ce mystérieux étranger ? » demanda Julien, qui avait écouté avec la plus vive émotion une histoire si propre à exciter l’intérêt d’un jeune homme ardent et brave.

« Beaucoup de choses, répondit Bridgenorth, mais qui ne menaient à rien, comme cela est ordinaire. L’opinion la plus générale fut que l’étranger, quoiqu’il eut déclaré le contraire, était réellement un être surnaturel. D’autres le regardèrent comme un champion inspiré, transporté miraculeusement de quelque climat lointain pour nous montrer le chemin du salut ; d’autres enfin