Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/184

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En parlant ainsi il regarda Julien, comme le cavalier qui, voulant éprouver un cheval, lui présente tout à coup quelque objet devant les yeux, afin d’observer si cette vue le fera reculer ou tressaillir. Mais l’esprit de Julien était trop occupé d’autres sujets pour qu’il manifestât aucun étonnement. Sa réponse eut rapport à ce que Bridgenorth avait dit auparavant, et même il ne la fit qu’après un intervalle de quelques minutes.

« Par conséquent, dit-il, la guerre, qui appauvrit les nations, est aussi la créatrice des richesses qu’elle dévore. — Oui, reprit Bridgenorth, comme l’écluse qui met en mouvement les eaux dormantes du lac qu’elle finit par dessécher. La nécessité invente les arts, découvre les ressources ; et quelle nécessité plus terrible que celle de la guerre civile ? Ainsi la guerre elle-même est un mal où il se mêle un peu de bien, car elle crée cette impulsion et cette énergie que sans elle la société n’aurait pas. — La guerre est donc nécessaire, dit Peveril, afin que chacun envoie son argenterie à la fonte, et qu’on se serve de plats d’étain et d’assiettes de bois ? — Ce n’est pas cela, mon fils, » répondit Bridgenorth ; puis, remarquant la rougeur dont cette expression avait coloré les joues et le front du jeune homme, il ajouta : « Pardonnez-moi une telle familiarité ; mais je n’ai pas prétendu limiter mon raisonnement à des conséquences aussi frivoles, quoique certainement il fût salutaire d’arracher les hommes à leurs pompes ou à leur luxe, et d’apprendre aux Sybarites à devenir Romains. Je voulais dire que les temps de danger public, en rappelant dans la circulation le trésor amassé par l’avare et les lingots de l’orgueilleux spéculateur, et en ajoutant ainsi à la richesse intérieure du pays, excitent aussi des esprits nobles et braves qui, sans cela, auraient langui dans la torpeur, sans donner aucun exemple à leurs semblables, sans léguer aucun nom à la postérité. La société ne connaît ni ne peut connaître les trésors intellectuels qui dorment dans son sein, avant que la nécessité et la force des circonstances aient fait sortir l’homme d’état et le guerrier des ténèbres d’une vie obscure et ignorée, pour qu’ils jouent le rôle dont la Providence les a chargés, et remplissent les emplois auxquels ils ont été préparés par la nature et l’éducation. Ainsi s’éleva Olivier Cromwell, ainsi s’éleva Milton, ainsi s’élevèrent tant d’autres hommes dont les noms sont immortels. Les malheurs des temps enfin, sont comme la tempête qui force le marin à déployer toute son adresse. — Vous parlez, dit Peveril, de même que si une calamité nationale devait