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non seulement au pot de bière dont j’ai déjà parlé, mais à deux flacons d’excellent madère et de vieux porto venus de Londres. J’avais extrait le premier d’un lieu où il se faisait et s’améliorait à la chaleur favorable du four ; l’autre, d’une cachette profonde située dans ma cave antique, qui jadis[1] peut avoir contenu les vins destinés aux vainqueurs du monde, la voûte étant bâtie de briques romaines. Je ne pus m’empêcher d’admirer le digne vieillard et de le féliciter sur le vigoureux appétit qu’il déployait pour les mets substantiels de la vieille Angleterre. « Monsieur, répliqua-t-il, je dois manger comme un Anglais pour me montrer digne de prendre ma place dans l’une des sociétés les mieux choisies de francs esprits anglais, qui se soient jamais assemblées pour découper une tranche de bœuf de montagne ou un généreux plum-pudding. »

Je lui demandai, mais avec toute la déférence et toute la réserve possibles, où il se rendait, et à quelle société distinguée il appliquait une définition si générale. Je vais, en imitant humblement votre exemple, rapporter notre dialogue sous une forme dramatique, excepté lorsque la description deviendra nécessaire.

L’auteur de Waverley. À qui pourrais-je appliquer une telle définition, si ce n’est à la seule société à qui elle soit parfaitement applicable… À ces juges infaillibles des vieux livres et du vieux vin : au club de Roxburg à Londres ? N’avez-vous pas appris que j’ai été élu membre de cette société choisie de bibliomanes ?

Dryasdust (fouillant dans sa poche). J’en ai appris quelque chose par le capitaine Clutterbuck qui m’a écrit… oui, voilà sa lettre… que ce bruit courait parmi les antiquaires écossais, lesquels en étaient fort alarmés, craignant que l’on ne vous amenât par séduction à la préférence hérétique du bœuf anglais sur le mouton à tête noire de sept ans, du maraschino[2] sur le whisky, et de la soupe à la tortue sur la soupe de cock-a-lekie[3], auquel cas ils seraient obligés de vous renier comme un homme perdu… Mais, ajoute le cher correspondant, qui a la main un peu militaire… plus accoutumée à manier l’épée que la plume… « notre ami est tellement sur ses gardes… » Je crois qu’il a mis sur ses gardes[4]… qu’il faudra une forte tentation pour le tirer de son incognito. »

  1. Whilam, mot écossais pour formerly, jadis. a. m.
  2. Maraschino, marasquin, liqueur de Zara, tirée du fruit d’un arbuste appelé marasch. a. m.
  3. Soupe écossaise faite avec un coq et une grande quantité de poireaux, auxquels on ajoute quelquefois des pruneaux. a. m.
  4. Shun, mot qui veut dire éviter. a. m.