Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/172

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mée de ce que ces paroles semblaient annoncer, « Julien n’est pas plus coupable que moi ! C’est le hasard, le hasard seul qui a été cause de notre rencontre ! » Se précipitant alors vers son père, elle jeta ses bras autour de lui : « Oh ! ne le traitez pas sévèrement, mon père, il n’a pas voulu me faire d’injure. Ô mon père ! vous avez toujours été un homme sage, religieux, paisible… — Et pourquoi ne le serais-je plus ? Alice, » répondit Bridgenorth, en relevant sa fille presque tombée à ses genoux dans l’ardeur de ses supplications. « Sais-tu quelque chose, mon enfant, qui doive m’inspirer contre ce jeune homme une colère que la raison et la religion ne puissent réprimer ? Va, rentre dans ta chambre ; calme tes propres passions, apprends à les gouverner, et laisse-moi causer avec cet opiniâtre jeune homme. »

Alice se releva et sortit de l’appartement à pas lents et les yeux baissés. Julien la suivit du regard jusqu’à ce que le dernier pli de sa robe eût disparu derrière la porte, qui se referma. Alors il leva les yeux sur le major, puis il les baissa aussitôt. Bridgenorth continuait à l’examiner dans un profond silence. L’expression de son visage était triste, même austère, mais rien dans son regard n’indiquait l’agitation et le ressentiment. Il fit signe à Julien de prendre un siège, et en prit un lui-même. Alors il commença la conversation en ces termes :

« Vous sembliez, il n’y a qu’un instant, jeune homme, désirer vivement d’apprendre où vous pouviez me rencontrer. Du moins j’ai pu le conjecturer d’après le peu de mots que j’ai entendus par hasard : car j’ai osé enfreindre la loi des modernes convenances, et écouter un moment, afin de savoir quel était le sujet de l’entretien particulier d’un homme aussi jeune que vous avec une femme aussi jeune qu’Alice. — J’ose me flatter ; monsieur, » dit Julien, rappelant tout son courage, dans un moment qui semblait devoir amener une solution décisive, « que vous n’avez rien entendu de ma part qui ait pu offenser un homme auquel je dois un respect si profond, quoiqu’il m’ait été jusqu’à présent inconnu. — Au contraire, » répondit Bridgenorth avec le même ton de gravité ; « je suis content de voir que vous voulez ou que vous paraissez vouloir traiter avec moi plutôt qu’avec ma fille. Je crois seulement que vous auriez mieux fait d’abord de vous ouvrir à moi seul de cette affaire, puisqu’elle me regarde essentiellement. »

Toute l’attention et la finesse de Julien ne purent découvrir si Bridgenorth parlait sérieusement ou avec ironie. Doué néanmoins