Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/167

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été plus susceptibles d’une juste critique. Mais il y avait une vivacité spirituelle dans son enjoûment et une sensibilité profonde dans sa gravité, qui faisaient qu’Alice était, dans la conversation, si séduisante par son langage et ses manières, si touchante par la simplicité et la pureté de ses pensées, qu’elle eût éclipsé les beautés les plus brillantes. Il n’est donc pas étonnant qu’un caractère ardent comme celui de Julien, subjugué par de tels charmes et par l’attrait du mystère qui présidait à toutes ses relations avec Alice, préférât la recluse de Black-Fort à toutes les femmes aimables qu’il pouvait rencontrer dans le monde.

Son cœur battit violemment lorsqu’elle parut ; à peine put-il proférer un mot, et son salut respectueux prouva seul qu’il s’apercevait de sa présence.

« C’est une dérision, monsieur Peveril, » dit Alice en s’efforçant de prendre un ton de fermeté que secondaient assez mal les accents de sa voix tremblante ; « c’est une dérision, et c’en est une bien cruelle. Vous venez dans ce lieu solitaire, habité seulement par deux femmes trop simples pour vous ordonner d’en sortir, trop faibles pour vous y forcer ; vous y venez en dépit de mes prières, au préjudice de votre temps, au mépris de ma réputation, déjà compromise peut-être. Vous abusez de votre pouvoir sur la femme faible et bonne à laquelle je suis confiée. C’est ainsi que vous agissez ; et vous croyez réparer le mal que vous faites par de profonds saluts et une politesse contrainte ! Une semblable conduite est-elle juste, est-elle honorable… ? Dites, » ajouta-t-elle, après un moment d’hésitation, « est-elle inspirée par la tendresse ?

Le son de voix mal assuré avec lequel ces derniers mots furent prononcés, et l’accent de doux reproche qui les accompagnait, allèrent droit au cœur de Julien.

« S’il existait, dit-il, un moyen de vous prouver, au péril de ma vie, mon estime, mon respect et mon amour passionné, le danger me serait cent fois plus cher que le plaisir ne me le fut jamais. — Vous m’avez tenu trop souvent ce langage, répondit Ahce ; et il est tel que je ne dois plus, que je ne désire plus l’entendre. Je n’ai point de tâche à vous imposer, point d’ennemis à vaincre, nul besoin de protection nulle envie, Dieu le sait ! de vous exposer à aucun danger : le seul que j’ai à redouter pour moi est dans vos visites ici. Croyez-moi, domptez votre caractère fougueux, tournez d’un autre côté vos pensées et vos soins, et je n’aurai plus rien à demander au ciel, plus rien à souhaiter.