Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/161

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toute la force de ses sentiments, et l’éclairer sur la nature de ceux qu’elle éprouvait elle-même. Elle versa des larmes en abondance ; mais toutes ne furent pas amères. Elle écouta dans une immobilité passive et silencieuse le récit animé qu’il lui fit des événements qui avaient divisé leurs familles ; car jusque-là tout ce qu’elle avait su, c’était que M. Peveril, attaché par des liens de parenté à la maison de là grande-comtesse ou souveraine de l’île de Man, devait employer quelques précautions pour visiter la parente de l’infortuné colonel Christian. Mais lorsque Julien termina son récit par les protestations brûlantes d’un éternel amour :

« Mon pauvre père ! s’écria-t-elle, est-ce donc là le résultat de tous tes soins ? Est-ce de la bouche du fils de celui qui t’a outragé, qui t’a banni de ton pays, que ta fille doit entendre sortir un tel langage ? — Vous vous trompez, Alice, vous vous trompez, répondit vivement Julien ; si je vous tiens ce langage, si le fils de Peveril s’adresse ainsi à la fille de Bridgenorth, s’il s’agenouille devant vous pour obtenir le pardon des injures qui ont été commises lorsque tous deux nous étions si jeunes, c’est une preuve que le ciel veut que notre affection éteigne toute discorde entre nos parents ; autrement pourquoi réunirait-il dans une vallée de l’île de Man ceux qu’il avait séparés enfants dans les montagnes du Derbyshire ? »

Quelque nouvelle que fût cette scène pour Alice, et surtout quelle que fût son émotion, elle était douée au plus haut degré de cette délicatesse exquise qui est si naturelle au cœur de la femme, et qui l’avertit secrètement de ce qui peut blesser les convenances dont elle ne doit jamais s’écarter.

« Levez-vous, monsieur Peveril, dit-elle, et ne soyez injuste ni envers vous ni envers moi : tous deux nous avons eu tort, grand tort ; mais ma faute à moi est le résultat de l’ignorance. Ô mon Dieu ! mon pauvre père qui a besoin de tant de consolations, dois-je encore ajouter à ses infortunes ! Levez-vous ! » répéta-t-elle d’un ton plus ferme : « si vous gardez plus long-temps cette attitude peu convenable, je sortirai de l’appartement, et vous ne me reverrez jamais ! »

Le ton d’autorité avec lequel Alice prononça ces paroles, imposa à l’impétuosité de son amant, qui obéit en silence et alla s’asseoir à quelque distance d’elle. « Julien, » lui dit-elle d’un ton plus doux et en voyant qu’il se disposait à reprendre la parole, « vous en avez assez dit, vous n’en avez dit que trop. Que ne