Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa petite compagne, qu’il devait retrouver un jour dans le premier éclat de sa beauté, sur une terre où tous deux étaient étrangers.

Dame Deborah resta confondue en voyant le fâcheux résultat de ses communications, et elle commença à s’effrayer sérieusement de ce que le moyen sur lequel elle avait compté devenait un aliment à la flamme qu’elle s’était flattée d’éteindre. Elle n’avait pas la tête organisée de manière à résister aux arguments mâles et énergiques d’un attachement passionné. Elle s’étonna, elle gémit, et sa faible opposition se termina par des pleurs, par des élans sympathiques, et par son consentement à ce que les visites de Julien continuassent, pourvu qu’il ne parlât jamais à Alice que le langage de l’amitié ; car, pour le monde entier, elle ne consentirait à rien de plus. Pourtant, ajouta-t-elle, elle n’était pas si simple qu’elle n’eût aussi ses pressentiments sur les desseins de la Providence à l’égard de ce jeune couple, et bien certainement Alice et Julien n’étaient pas moins faits pour être unis ensemble que les domaines de Martindale et de Moultrassie.

Vint alors une longue suite de réflexions, Martindale n’avait besoin que de très-peu de réparations pour être presque en aussi bon état que le château de Chatsworth. Quant à Moultrassie-House, on ne risquerait rien de le laisser tomber en ruine, ou, ce qui vaudrait mieux, lorsque l’heure de sir Geoffrey serait venue (car le bon chevalier avait du service et devait être bien cassé maintenant), cette maison pourrait servir d’habitation à la douairière, lady Peveril, qui s’y retirerait avec Ellesmère ; tandis qu’elle, mistress Deborah, souveraine de l’office et du garde-manger, régnerait comme femme de charge au château, et placerait peut-être la couronne matrimoniale sur la tête de Lance-Outram, pourvu qu’il ne fût ni trop caduc, ni trop gras, ni trop amateur de l’ale.

Telles étaient les visions séduisantes sous l’influence desquelles dame Deborah favorisait un attachement qui berçait aussi de ses songes enchanteurs Alice et son jeune amant.

Les visites du beau pêcheur devinrent de plus en plus fréquentes, et Deborah, quoique prévoyant tous les dangers d’une découverte, et ceux d’une explication entre Alice et Julien, explication qui devait nécessairement rendre leur situation encore plus délicate, se sentait subjuguée par l’enthousiasme du jeune amant, et se voyait forcée de laisser les événements suivre leur cours.

Le départ de Julien pour le continent vint interrompre ses visi-