Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/153

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de chêne bien verrouillée : c’est une excellente garantie. Ainsi vous voyez que tout acte de trahison de ma part (la petite mijaurée ne manquerait pas, soyez-en sûr, d’appeler la chose de ce nom) devient complètement impossible. — Ne parlez pas ainsi, Deborah ; allez… essayez… seulement, priez-la de m’entendre ; dites-lui que j’ai cent motifs excusables pour désobéir à ses ordres ; dites-lui que j’ai la certitude de lever tous les obstacles au château de Martindale. — Je vous répète que tout cela est inutile. Quand j’ai aperçu votre bonnet et votre ligne dans le vestibule, je me suis écriée : Le voilà encore ! Aussitôt elle a monté l’escalier avec la vitesse d’une biche, et je l’ai entendue tourner la clef et pousser le verrou, avant d’avoir pu dire un seul mot pour l’arrêter : je m’étonne que vous n’en ayez rien entendu. — C’est parce que je suis ce que j’ai toujours été, un oiseau, un rêveur, un fou, qui laisse passer les minutes d’or que sa malheureuse étoile lui offre si rarement. Eh bien ! allez lui dire que je pars, que je pars pour toujours, que je vais dans un lieu d’où elle n’entendra plus parler de moi, d’où personne n’en entendra jamais parler. — Ô père du ciel ! s’écria Deborah ; l’entendez-vous ! Et que deviendra sir Geoffrey, et votre mère, et moi, et la comtesse, si vous allez si loin, qu’on n’entende plus parler de vous ? Et que deviendra aussi la pauvre Alice ? car je jurerais qu’elle vous aime plus qu’elle ne dit ; je sais bien qu’elle a l’habitude de s’asseoir à la fenêtre pour regarder le chemin par lequel vous avez coutume de venir à la rivière, et souvent elle me demande si le temps est bon pour la pêche ; et pendant toute la durée de votre voyage sur le continent, comme on appelle ce pays, à peine a-t-elle souri une seule fois, si ce n’est lorsqu’elle reçut deux longues lettres venant de pays étrangers. — C’est de l’amitié, Deborah, de la simple amitié ; ce n’est qu’un souvenir calme et froid pour un homme qui, grâce à votre douce indulgence, a pu s’introduire de temps en temps dans votre solitude, pour vous donner des nouvelles du monde vivant. Pourtant une seule fois j’ai cru qu’il m’était permis d’espérer… Mais tout est fini, adieu ! »

En parlant ainsi, il couvrit son visage d’une main, et tendit l’autre à Deborah, comme pour prendre congé ; mais le cœur de celle-ci n’eut pas la force de résister au spectacle de son affliction.

« Pourquoi cette précipitation ? dit-elle ; je vais monter chez miss Alice ; je lui dirai tout ce que je viens d’entendre, et je la ramènerai, s’il est au pouvoir d’une femme de le faire. »