Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/152

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le chevalier votre père, milady votre mère ; il y a le père d’Alice qui a l’esprit à moitié renversé par sa religion ; il y a la tante qui porte éternellement une robe de gourgouran noir, à cause de ce malheureux colonel Christian ; et enfin, il y a la comtesse de Derby, qui nous accommoderait tous à la même sauce, si nous nous avisions de songer à quelque chose qui pût lui déplaire. Indépendamment de tout cela, vous avez manqué de parole à miss Alice ; ainsi tout est fini entre nous, et je suis d’avis que de cette manière les choses sont pour le mieux : c’est là, peut-être, monsieur Julien, ce que j’aurais dû penser il y a long-temps, sans attendre qu’une enfant comme Alice me donnât l’éveil ; mais j’ai un cœur si bon ! »

Il n’y a pas de flatteur pareil à un amant qui veut parvenir à son but.

« Vous êtes la meilleure femme, la plus aimable personne du monde, Deborah, lui dit Julien ; mais vous n’avez pas encore vu la bague que j’ai rapportée pour vous de Paris : je veux vous la mettre au doigt moi-même. Allons, ne soyez pas si sévère pour l’enfant que vous aimiez tant, et dont vous avez pris tant de soins. »

Il réussit sans trop de peine, et avec une affectation marquée de galanterie, à passer un bel anneau d’or au gros doigt de miss Deborah Debbitch, qui avait une de ces âmes comme on en trouve souvent dans les rangs inférieurs du peuple, et même quelquefois dans les rangs plus élevés : sans être positivement accessible à la corruption, elle était néanmoins très-âpre au gain, et singulièrement portée à se laisser entraîner, peut-être à son insu, hors de la ligne du devoir, par l’amour des petits égards, des petits présents, et des compliments. Miss Deborah tourna et retourna l’anneau sur son doigt, et dit enfin à demi-voix : « En vérité, monsieur Julien Peveril, on ne peut rien refuser à un jeune homme comme vous, et les jeunes gens sont toujours si obstinés ! Ainsi donc, je ferai tout aussi bien de vous dire que miss Alice est revenue de Kirk-Truagh avec moi, et qu’elle vient d’entrer dans la maison en même temps que moi. — Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt ? » s’écria Julien vivement ; « où est-elle ? — Vous feriez mieux de me demander pourquoi je vous le dis maintenant, répondit Deborah ; car je vous assure que j’agis contre ses ordres positifs : et je ne vous aurais rien dit, si vous ne m’eussiez regardé d’un air si chagrin. Mais quant à vous voir, elle ne le veut pas : elle est dans sa chambre à coucher, fermée par une bonne porte