Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/96

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d’assez bons esprits ; mais il faut que la tête ait tourné à ceux que nous avons laissés derrière, et que leurs cerveaux soient tout à fait à l’envers, comme ceux des sorciers et des sorcières le soir du sabbat du diable. — Je suis fâché d’entendre Votre Majesté parler ainsi, dit Heriot ; oserais-je demander, sire, ce que mes compatriotes ont fait pour mériter cette réputation ? — Ils sont devenus fous, mon garçon, fous à lier ; je ne puis les tenir éloignés de la cour, malgré toutes les proclamations que nos hérauts s’enrouent à leur crier. Pas plus tard qu’hier, au moment où nous venions de monter à cheval et de nous préparer à sortir, arrive un véritable goujat d’Édimbourg, un misérable en guenilles, qui n’avait pas sur le dos un haillon qui ne dît adieu à l’autre, et dont l’habit et le chapeau auraient pu servir d’épouvantail ; et le voilà qui, sans aucune retenue ni respect, comme un hardi mendiant, nous met brusquement dans la main quelque supplique au sujet de je ne sais quelle dette de notre gracieuse mère, et de semblables sottises : sur quoi notre cheval s’est dressé tout droit ; et sans l’aplomb admirable avec lequel nous nous tenons à cheval, et pour lequel nous passons pour l’emporter sur la plupart des princes de l’Europe, aussi bien que sur leurs sujets, je vous assure que nous aurions été étendus sur le pavé. — Votre Majesté, dit Heriot, est leur père commun ; c’est ce qui les rend si hardis à se présenter devant votre gracieuse présence. — Je sais de reste que je suis pater patriœ, dit Jacques ; mais on dirait qu’ils veulent m’arracher les entrailles pour se les partager… Par la mort, Geordie, il n’y a pas un rustre parmi eux qui sache remettre une supplique d’une manière convenable à son souverain. — Je voudrais savoir quelle est la manière de le faire la plus séante et la plus respectueuse, sire, quand ce ne serait que pour apprendre à nos pauvres compatriotes à se mieux conduire. — Par ma foi, vous êtes un homme qui savez vivre, Geordie, et je ne regarderai pas à perdre quelques moments pour vous instruire… Et d’abord, voyez-vous, monsieur, il faut approcher de la personne du roi de cette manière, en portant la main à vos yeux, pour témoigner que vous savez être dans la présence du vice-roi du ciel… Très-bien, George, voilà qui va à merveille… Ensuite, monsieur, vous vous agenouillez, et vous faites comme si vous vouliez baiser le bord de nos habits, les cordons de nos souliers, ou quelque chose de semblable… fort bien exécuté… Ce que nous, voulant nous montrer débonnaire et bienveillant