Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/367

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tes qu’on lui représente comme des actes de bonté… Hélas ! on peut appliquer à Sa Majesté très-sacrée, et aux favoris qui s’emparent de lui, ce proverbe vulgaire avec lequel on a coutume de railler les gens de mon état : « Dieu nous envoie de bonne viande, mais le diable nous envoie les cuisiniers. » — Il ne sert à rien d’en parler, mon bon ami ; il faut que j’en coure la chance, mon honneur l’exige impérieusement. On peut me mutiler et me réduire à la mendicité, mais il ne sera pas dit que j’ai fui devant mes accusateurs. Mes pairs entendront ma justification. — Vos pairs ! s’écria le cuisinier. Hélas ! milord, nous ne sommes point en Écosse, où les nobles peuvent tenir tête bravement au roi même. Il faut que ce ragoût-là passe par les mains de la chambre étoilée, et c’est une fournaise qui a été sept fois chauffée ; cependant, si vous êtes déterminé à voir le roi, je ne dis pas que vous n’en puissiez obtenir quelque grâce, car il aime assez qu’on en appelle directement à sa sagesse ; et quelquefois, dans des cas semblables, je l’ai vu se tenir, sans en démordre, à son propre jugement, qui est toujours équitable. Songez seulement (vous voudrez bien, milord, me pardonner ce conseil), songez à assaisonner vos paroles de latin ; une ou deux citations de grec ne feraient pas mal non plus ; et si vous pouvez trouver moyen de citer quelque chose du jugement de Salomon dans le texte hébreu, et l’accompagner de quelques plaisanteries facétieuses pour lui donner du sel, le mets n’en sera que plus agréable. En vérité, je crois qu’outre le talent que j’ai dans mon métier, je suis fort redevable au martinet du recteur de notre école, qui a gravé dans mon esprit la scène de cuisine de l’Heautontimorumenos. — Laissons cela, mon ami. Pouvez-vous m’indiquer la route que je dois suivre pour voir le roi et lui parler s’il est possible ? — Le voir est assez facile, car il galope dans ces allées pour voir frapper le cerf et gagner de l’appétit pour son dîner, ce qui me rappelle que je devrais être dans ma cuisine. Quant à parler au roi, vous n’y réussirez pas si aisément, à moins que vous ne le rencontriez seul, ce qui arrive rarement, ou que vous ne vous mêliez à la foule qui l’attend pour le voir descendre de cheval. Et maintenant, adieu, milord, que Dieu vous soit en aide ! si je pouvais en faire davantage pour vous, je m’y offrirais de bon cœur. — Vous en avez fait peut-être assez pour vous exposer ; allez, je vous prie, et laissez-moi à mon sort. »

L’honnête cuisinier avait peine à s’éloigner ; mais le son écla-