Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/351

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Le prudent Écossais (car nos lecteurs l’ont sans doute déjà reconnu à son pédantisme) en voyant s’approcher le furieux John Christie, se recula, mais d’une manière menaçante et en portant la main sur la poignée de son épée, plutôt comme quelqu’un qui, poussé à bout, renonce à la prudence et à la modération ordinaire de ses habitudes, que parce qu’il était alarmé de l’attaque d’un adversaire bien inférieur en jeunesse, en force, et sous le rapport des armes.

« Reculez-vous, dit-il, maître Christie, reculez-vous et songez à votre sûreté. Je me suis abstenu de vous frapper dans votre propre maison, quoique vous m’y ayez assez provoqué, parce que j’ignore quelles sont les lois d’Angleterre à ce sujet. D’ailleurs je n’ai pas envie de vous faire de mal, camarade, parce que je me rappelle, d’une part, votre ancienne amitié, et que, de l’autre, je vous regarde comme une pauvre créature abusée. Mais, de par le diable ! et je ne suis pas habitué à jurer, si vous touchez mon épaule écossaise avec cette pioche, il faudra que mon épée fasse connaissance avec votre flanc, voisin, à la profondeur de six pouces au moins. »

Et là-dessus, quoique se retirant toujours pour éviter la pioche menaçante, il tira son épée à environ un tiers hors du fourreau. La colère de John Christie s’était un peu calmée, soit effet naturel de la modération de son caractère, soit que l’éclat du fer que son adversaire venait de faire briller à ses yeux y eût aussi contribué un peu.

« Si je faisais bien, j’ameuterais contre toi le peuple, qui te ferait faire le plongeon dans la rivière, » dit-il en baissant pourtant sa pioche, « comme à un mauvais tapageur qui voudrait tirer le fer contre un honnête citoyen devant sa porte. Mais va-t’en, et rappelle-toi que tu peux compter sur une anguille bien salée pour ton souper si jamais tu t’avises d’approcher de ma maison. Je voudrais qu’elle eût été au fond de la Tamise le jour qu’elle donna l’abri de son toit à des vauriens d’Écossais à langue dorée et à double face. — C’est un vilain oiseau que celui qui souille son propre nid, » répondit son adversaire, d’autant plus hardi peut-être qu’il voyait que la querelle prenait la tournure d’en rester aux paroles ; « et c’est bien dommage qu’un bon Écossais se soit marié hors de son pays pour donner la vie à un insolent mangeur de pouding, à un Anglais à large panse et à étroite cervelle, tel que vous, maître Christie… Mais adieu, adieu pour long-temps !