Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/305

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tique. Mais je rougis bien plus encore que cette même habitude de toujours compter sur les autres m’ait rendu, depuis que je suis dans cette ville, la victime d’événements que je n’ai jamais tenté de maîtriser. Je suis un être n’agissant jamais par lui-même, toujours dirigé par une impulsion étrangère. Aujourd’hui protégé par un ami, demain trahi par un autre. Au milieu du bien que je recevais de l’un et des maux dans lesquels l’autre m’entraînait, je suis resté aussi passif, aussi inactif qu’une barque sans voiles et sans aviron, flottante à la merci des vents et des vagues. Je suis devenu courtisan, parce qu’Heriot me l’a conseillé… joueur, parce que Dalgarno l’avait décidé ainsi… Alsacien, parce que Lowestoffe l’a voulu… Quelque bien ou quelque mal qui me soit arrivé, les autres, et non pas moi, en ont été les agents. Mais le fils d’un père tel que le mien ne doit pas mener plus long-temps cette vie irrésolue et puérile. Qu’il vive ou qu’il meure, qu’il s’enfonce ou surnage, Nigel Olifaunt ne devra son salut, ses succès et son honneur qu’à ses propres efforts ; s’il périt, il aura du moins le mérite d’avoir exercé une fois ses facultés et son indépendance. Je vais écrire sur mes tablettes ses propres paroles… « Le sage n’a pas de meilleur serviteur que lui-même. »

Il venait de mettre ses tablettes dans sa poche quand la vieille femme de ménage qui, pour ajouter à son activité, était sévèrement maltraitée par les rhumatismes, entra en boitant, afin de voir si elle ne pourrait pas gagner quelque chose en servant l’étranger : elle entreprit volontiers d’aller chercher à déjeûner à Nigel, et comme il y avait un traiteur à la porte à côté, elle revint plus tôt que Nigel ne l’avait espéré.

Il venait de finir ce repas solitaire quand on lui annonça qu’un commissionnaire du Temple demandait M. Grahame, de la part de son ami maître Lowestoffe. Nigel ayant ordonné à la vieille femme de le faire entrer, il déposa dans la chambre une malle qui contenait les effets que le jeune lord avait demandés ; puis avec un air de mystère il lui remit une cassette ou coffre-fort, qu’il avait soigneusement caché sous son manteau ; « Je suis bien aise d’en être débarrassé, » dit cet homme en la posant sur la table.

« Comment donc ? dit Nigel, elle n’est pourtant pas si lourde, et vous m’avez l’air d’un jeune homme vigoureux. — Oui, oui, monsieur ; mais Samson lui-même n’aurait pas porté un objet de ce genre sans danger au milieu de l’Alsace, si les gaillards qui l’habitent avaient su ce que c’était. Veuillez bien l’ouvrir, mon-