Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/285

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en temps de la sorte pour visiter, sous le costume d’un galant du jour, ces lieux de plaisir et de dissipation, qu’il n’aurait pu fréquenter sous les habits de sa classe et de sa profession, sans se couvrir à jamais de honte, en supposant toutefois qu’il lui eût été possible de s’y faire admettre de cette manière. Il entra le front couvert d’un sombre nuage ; son riche habit, qui avait été mis à la hâte, était boutonné de travers ; son ceinturon était bouclé si maladroitement, que l’épée s’écartait de son côté, au lieu d’y être suspendue avec grâce et négligence, et son poignard, quoique doré et bien travaillé, était fiché dans sa ceinture comme le couteau d’un boucher dans les plis de son tablier bleu. Nous dirons, en passant, que les gens d’une éducation distinguée avaient autrefois l’avantage d’être beaucoup mieux accueillis du vulgaire qu’ils ne le sont aujourd’hui ; car ce qu’était anciennement le vertugadin et le panier aux dames de la cour, l’épée l’était aux gentilshommes : c’était un article de la toilette qui ne faisait que rendre ridicules ceux qui le portaient par hasard. La rapière de Vincent s’embarrassa dans ses jambes ; et comme elle le fit trébucher, il s’écria : « Morbleu ! c’est la seconde fois qu’elle me joue ce tour… on dirait, ma foi, que ce maudit colifichet sait que je ne suis pas un véritable gentilhomme, et qu’il le fait exprès. — Allons, allons, mon honnête Jin Vin, mon brave garçon, » dit la dame d’un ton caressant, « ne t’inquiète pas de toutes ces babioles ; un franc et joyeux apprenti de Londres vaut tous les muscadins de la cour. — J’étais en effet un franc et joyeux apprenti de Londres avant de vous connaître, dame Suddlechop, dit Vincent ; mais que suis-je devenu par vos conseils ? c’est à vous que je laisse le soin de le dire, car, pour moi, je rougis d’y penser. — Vraiment ! dit la dame, voilà où nous en sommes ?… Allons, je n’y connais qu’un remède… » Et là-dessus allant à un petit buffet sculpté qui occupait un coin de la salle, elle l’ouvrit à l’aide d’une clef qui, avec une demi-douzaine d’autres, pendait à une chaîne d’argent attachée à sa ceinture, et en tira une longue fiole de verre recouverte d’osier, et deux verres de forme flamande, à longue patte et à large ventre. Elle en emplit un jusqu’aux bords pour son hôte, et le second plus modestement jusqu’aux deux tiers environ qu’elle garda pour elle-même. Tout en versant les flots huileux de la précieuse liqueur, elle dit : « C’est de vraie rosa solis, merveilleuse, s’il en fut jamais, pour bannir les humeurs noires. »