Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/280

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tout autre moment m’aurait remplie de terreur. Mais alors je n’éprouvais que la douleur de me voir séparée de mon mari au moment de ma délivrance. Les femmes de la troupe, car il y en avait quatre ou cinq parmi ces marchands contrebandiers, nous reçurent avec une sorte de politesse grossière. Elles ne différaient pas beaucoup, pour le costume et les manières, des hommes auxquels elles étaient associées. Elles étaient presque aussi entreprenantes et aussi hardies, portaient des armes comme eux, et comme les circonstances nous l’apprirent ensuite, n’avaient guère moins qu’eux l’habitude de s’en servir.

Il était impossible de ne pas avoir peur de ces gens, dont les mœurs ont une espèce de férocité sauvage. Cependant ils ne nous donnèrent pas de motifs de nous plaindre d’eux, mais nous traitèrent, dans toutes les circonstances, avec une espèce de civilité rustique, s’accommodant à nos besoins et à notre faiblesse pendant la route, tout en murmurant entre eux contre notre mollesse, semblables à quelque voiturier, qui, chargé de marchandises précieuses et fragiles, prend toutes les précautions possibles pour qu’il ne leur arrive rien, tout en maudissant les peines et les soins extraordinaires qu’elles lui causent. Une ou deux fois seulement, ils éprouvèrent quelque contre-temps relativement à leur trafic de contrebande, et dans une occasion surtout, où ils perdirent des marchandises dans une rencontre avec des officiers de la douane espagnole, et se virent poursuivis par la force armée, leurs murmures prirent un caractère plus alarmant pour les oreilles effrayées de ma compagne et de moi-même, qui, sans oser paraître les comprendre, les entendions maudire les insulaires hérétiques qui étaient cause que Dieu, saint Jacques et Notre-Dame-du-Pilier avaient frustré leur espoir de profit. Ce sont là des souvenirs terribles, Marguerite. — Pourquoi donc alors, très-chère dame, vous appesantir là-dessus ? répondit Marguerite. — C’est seulement, reprit lady Hermione, parce que, semblable au criminel prêt à monter sur l’échafaud, je voudrais différer autant que possible le moment qui doit amener l’inévitable catastrophe. Oui, ma chère Marguerite, je m’arrête et m’appesantis sur les événements de ce voyage, quoique marqué par tant de fatigues et de dangers. Notre route, il est vrai, traversait les déserts les plus incultes, les montagnes les plus sauvages. Nos compagnons, hommes et femmes, étaient des gens féroces et sans frein, et qui se trouvaient exposés aux plus terribles représailles