Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/273

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dépendait du procès que nous étions venues suivre à Madrid, bruit qu’elle avait répandu par politique, sentant bien que si l’on apprenait que mon père avait fait passer en Angleterre des sommes aussi considérables, cette connaissance pourrait nuire au recouvrement de celles que nous réclamions à la cour d’Espagne. Cependant, sans me croire une fortune considérable, je crois que l’homme dont je parle fut d’abord sincère dans ses intentions. Il avait lui-même assez de crédit pour obtenir à la cour une décision en notre faveur, et mon bien, réduit aux sommes qu’on nous devait en Espagne, était encore très-souhaitable. Bref, quels que fussent ses motifs pour s’avancer à ce point, le fait est, que de mon aveu, il alla trouver ma mère pour en obtenir ma main. Le jugement de ma mère s’était affaibli par la maladie toujours croissante dont elle souffrait, et ses passions en étaient devenues plus irritables.

« Vous avez entendu parler de l’acharnement des anciennes haines écossaises, dont on peut dire, dans le langage de l’Écriture, que les pères mangent des raisins verts, et que les dents des enfants s’en ressentent. Malheureusement (je devrais plutôt dire heureusement en songeant quel caractère cet homme a montré), des dissensions avaient existé entre sa maison et celle de ma mère, et elle avait hérité de la haine des siens pour cette famille. Lorsqu’il lui demanda ma main, elle ne put commander à sa colère… Elle récapitula tous les outrages que les deux maisons rivales avaient accumulés l’une sur l’autre pendant deux siècles qu’avait duré une haine qui avait même fait répandre du sang, l’accabla d’épithètes insultantes, et rejeta sa proposition d’alliance comme si elle lui eût été faite par l’homme le plus méprisable.

« Mon amant se retira furieux, et moi je restai à pleurer et à murmurer contre la fortune, et, je l’avouerai à ma honte, contre ma tendre mère. J’avais été élevée dans des sentiments différents, et les traditions des haines et des querelles de la famille de ma mère en Écosse, qui étaient pour elle des monuments et des chroniques respectables, me paraissaient aussi insignifiantes et aussi insensées que les actions et les fantaisies de Don Quichotte, et je blâmais amèrement ma mère de sacrifier mon bonheur à un vain rêve de dignité de famille.

« Pendant que j’étais dans cette disposition d’esprit, mon amant chercha à me revoir. Nous nous réunîmes à plusieurs re-