Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/271

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affection les unissait. Je fus leur unique enfant, En public je me conformais aux dogmes et aux cérémonies de l’Église de Rome ; mais ma mère, qui ne la regardait qu’avec horreur, m’avait secrètement élevée dans les principes de la religion réformée, et mon père, soit indifférence sur ce sujet, ou répugnance à contrarier la femme qu’il aimait, ferma les yeux sur la manière dont elle m’éleva, ou peut-être même consentit à ce qu’elle me fît partager en secret sa croyance.

« Mais, quand mon père eut le malheur d’être attaqué, à la fleur de son âge, par une maladie lente et douloureuse, qu’il avait sentie devoir être incurable, il prévit les dangers auxquels sa veuve et sa fille orpheline pourraient se trouver exposées après sa mort, dans un pays où le catholicisme était aussi fanatique qu’en Espagne. Il ne s’occupa donc, pendant les deux dernières années de sa vie, que de réaliser et de faire passer en Angleterre une grande partie de sa fortune, qui, grâce à la probité et aux soins de son correspondant, qui n’est autre que l’excellent homme dont j’habite aujourd’hui la maison, fut employée de la manière la plus avantageuse. Si mon père eût vécu assez long-temps pour atteindre son but en retirant toute sa fortune du commerce, il nous aurait menées lui-même en Angleterre, où il nous aurait vues honorablement établies avant sa mort. Mais le ciel en avait ordonné autrement. Il mourut, laissant des sommes énormes entre les mains de débiteurs espagnols, et surtout d’une riche société de marchands de Madrid, à laquelle il avait fait une forte consignation, et qui, après sa mort, ne se montra aucunement disposée à en rendre compte. Plût au ciel que nous eussions laissé ces hommes avides et méchants en possession de leur butin, puisque c’était ainsi qu’ils semblaient considérer les dépouilles d’un homme qui avait été leur correspondant et leur ami ! Nous avions assez pour vivre dans l’aisance, et même dans le luxe, des sommes qui nous étaient assurées en Angleterre ; mais nos amis se récrièrent sur la folie qu’il y aurait à se laisser dépouiller de son bien légitime. La somme d’ailleurs était très-considérable, et la réclamation en ayant été faite, ma mère crut qu’elle devait à la mémoire de mon père de la poursuivre, d’autant plus que les moyens de défense qu’avait adoptés la société de marchands tendaient à méconnaître la loyauté de ses transactions.

« Nous allâmes donc à Madrid : j’avais alors à peu près votre âge, ma chère Marguerite ; j’étais folâtre et légère comme vous