Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/203

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ne me suis pas nourri toute ma vie de filets de bœuf. — Que veut dire tout ce verbiage ? demanda Nigel ; a-t-il quelque autre but que de lasser ma patience ? Vous savez assez qu’eussé-je vingt domestiques, ce serait au fidèle serviteur qui ne m’a pas abandonné dans la mauvaise fortune que je donnerais constamment la préférence. Mais il n’y a aucune raison de me tourmenter comme vous le faites par vos airs d’importance et vos lubies. — Milord, répliqua Richie, en déclarant le cas que vous faites de moi, vous agissez comme vous le devez, honorablement pour vous-même, si j’ose m’exprimer ainsi, et ce n’est que justice. Néanmoins il faut que nous nous séparions. — Sur mon âme ! demanda Nigel, quelle en est donc la raison, si nous sommes mutuellement satisfaits l’un de l’autre ? — Milord, reprit Richie, la manière dont Votre Seigneurie passe son temps est telle que je ne puis ni l’approuver ni l’autoriser par ma présence. — Qu’est-ce à dire, maraud ! » s’écria le maître irrité.

« Sous votre bon plaisir, milord, reprit le domestique, il n’est pas juste à vous de vous offenser de mon silence et de mes paroles. Si vous pouvez écouter avec patience les motifs de mon départ, il peut arriver que vous vous en trouviez bien dans ce monde et dans l’autre ; sinon laissez-moi partir en silence, et qu’il n’en soit plus question. — Eh bien, monsieur, dites ce que vous avez dans l’âme ; seulement n’oubliez pas à qui vous parlez. — Eh bien, eh bien ! milord, je parle en toute humilité (jamais Richie n’avait eu un air d’importance empesée plus remarquable que dans ce moment) ; mais croyez-vous qu’il convienne à Votre Seigneurie de passer sa vie entre les dés et les cartes, à courir les tavernes et les spectacles ? Quant à moi, je déclare que cela ne me convient pas. — Comment donc, vous êtes devenu précisien ou puritain ! » s’écria lord Glenvarloch en affectant de rire, quoique, partagé entre le ressentiment et la colère, il eût quelque peine à les surmonter.

« Milord, je comprends le sens de cette question. Il est possible que je sois quelque peu précisien, et plût au ciel que je fusse plus digne de ce nom ! Mais laissons cela. J’ai étendu les devoirs d’un serviteur aussi loin que me l’a permis ma conscience écossaise ; je ne crains pas de dire un mot en faveur de mon maître et de mon pays natal quand je me trouve dans une terre étrangère, même dans les moments où, par prudence, je devrais laisser la vérité un peu derrière moi. Oui, vraiment ; et, qui plus est,