Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/202

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En regardant son domestique, Nigel remarqua que sa figure, qui avait toujours une expression de gravité solennelle, était couverte d’un nuage qui indiquait soit un redoublement d’importance, soit un degré de mauvaise humeur de plus, ou peut-être l’un et l’autre.

« Eh bien, dit-il, qu’y a-t-il donc ce matin, Richie, que vous arrivez avec une figure pareille aux masques grotesques qui sont sur ces gouttières là-haut ? » indiquant du doigt le bâtiment gothique de l’église du Temple, qu’on apercevait de la croisée.

Richie tourna la tête du côté de l’église, mais avec autant de roideur et aussi lentement que s’il eût eu le torticolis, et, reprenant sa première position, il répliqua : « Bah ! bah ! que m’importe cela ? ce n’est pas de choses semblables que j’ai à vous parler en ce moment. — Et de quoi donc avez-vous à me parler en ce moment ? » lui demanda son maître, que les circonstances avaient habitué à passer beaucoup de libertés à son domestique.

« Milord… » balbutia Richie ; puis il s’arrêta tout court, toussa, et s’éclaircit la voix comme si ce qu’il avait à dire lui tenait au gosier.

« Je devine ce que c’est, reprit Nigel ; vous avez besoin d’un peu d’argent, Richie : ces cinq pièces d’or feront-elles votre affaire ? — Milord, je puis, il est vrai, avoir besoin de quelque peu d’argent, et je suis bien aise et fâché en même temps de voir qu’il est plus commun chez Votre Seigneurie qu’il ne l’était autrefois. — Bien aise et fâché ; que voulez-vous dire ? vous me parlez par énigmes, Richie. — Mon énigme sera bientôt expliquée. Je viens demander à Votre Seigneurie ses ordres pour l’Écosse. — Pour l’Écosse ! êtes-vous fou, mon garçon ? ne pouvez-vous attendre pour y retourner avec moi ? — Je ne vous serais pas bien utile, puisque vous avez l’intention de prendre un page et un autre jockey. — Eh comment, animal ! s’écria le jeune lord ; ta jalousie t’empêche-t-elle de voir que le poids de tes devoirs en sera allégé de moitié ? Va déjeuner, et bois une double portion d’ale forte pour chasser de ta tête ces extravagances. Je serais tenté de t’en vouloir de ta sottise, Richie, si je ne me rappelais combien tu m’es resté fidèle dans l’adversité. — L’adversité, milord, ne nous aurait jamais séparés, dit Richie ; et quand les choses eussent été au pis, j’aurais su mourir de faim aussi bravement que Votre Seigneurie, et même encore mieux, y étant en quelque sorte habitué ; car, quoique j’aie été dans la boutique d’un boucher, je