Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/188

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livra pas lui-même à cet amusement ; mais il alla de table en table, faisant des remarques sur la chance qui accompagnait les différent ; joueurs, et causant avec les plus distingués des convives. À la fin, comme s’il eût été fatigué de cette manière de passer son temps, il se rappela tout à coup que Burbage devait jouer ce soir-là à la Fortune, dans le Roi Richard de Shakspeare, et qu’il ne pouvait procurer un plus grand plaisir à un étranger dans la ville de Londres, comme l’était lord Glenvarloch, que de le mener à cette représentation, à moins, ajouta-t-il tout bas, « qu’il n’y ait une interdiction paternelle sur les théâtres comme sur l’Ordinaire. — Je n’ai jamais entendu parler à mon père de pièces de théâtre, dit lord Glenvarloch, car ce sont des spectacles d’une date récente et encore inconnus en Écosse. Cependant, si ce que j’en ai entendu dire est vrai, je doute fort qu’il les eût jamais approuvés. — Approuvés ! s’écria lord Dalgarno : comment donc ; George Buchanan a composé des tragédies, et son élève, aussi savant, aussi sage que lui, va les voir : aussi c’est presque un crime de haute trahison que de s’en abstenir. Les hommes les plus spirituels de l’Angleterre écrivent pour le théâtre, et les plus jolies femmes de Londres s’y portent en foule. J’ai une couple de chevaux qui vont nous y conduire avec la rapidité de l’éclair : la course nous aidera à digérer la venaison et les ortolans, et dissipera les vapeurs du vin ; ainsi donc, à cheval ! Bonsoir, messieurs… bonsoir, chevalier de la Fortune. »

Les domestiques de lord Dalgarno attendaient en bas avec deux chevaux : le premier était un barbe d’une grande beauté, le favori de son maître, qui le monta, et l’autre un genêt très-bien dressé et presque aussi beau, qui servit à Nigel. Pendant qu’ils étaient en route pour le théâtre, lord Dalgarno essaya de découvrir quelle opinion son ami s’était formée de la société dans laquelle il l’avait introduit, afin de combattre les préventions qu’il aurait pu concevoir.

« D’où vient cet air triste et rêveur, mon cher néophyte ? dit-il ; sage fils de l’alma mater des sciences des Pays-Bas hollandais, qu’as-tu donc ? La feuille de l’histoire vivante que nous venons de tourner ensemble te paraît-elle moins bien écrite que tu ne t’y étais attendu ? Console-toi, et passe par-dessus deux ou trois petites taches, car tu seras condamné à en lire plus d’une que l’infamie aura souillée de ses funestes couleurs… Rappelle-toi, très-immaculé Nigel, que nous sommes à Londres, et non à