Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/176

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institution de création nouvelle, consacrée à Momus et à Comus, où les nobles et les courtisans du jour se rassemblent avec les premiers génies et les esprits les plus déliés du siècle… où le vin est la pure essence de la grappe la mieux choisie, aussi délicat que le génie du poète, aussi vieux, aussi généreux que le sang des nobles… Ensuite la chère y est un peu différente de notre grossière nourriture terrestre : la terre et les mers sont mises à contribution pour fournir les mets qui la composent, et six ingénieux cuisiniers se mettent continuellement l’esprit à la torture pour que leur art rivalise, et surpasse, s’il est possible, la qualité exquise des matières premières. — Tout ce que je puis entendre à cette belle définition, dit lord Glenvarloch, c’est, comme je l’avais d’abord compris, que nous allons dans quelque taverne du grand genre, où nous serons grandement traités, pourvu que nous payions grandement notre écot. — Écot ! » s’écria lord Dalgarno du même ton qu’auparavant ; « périsse ce mot vulgaire et grossier ! Quelle profanation ! Monsieur le chevalier de Beaujeu, l’honneur de Paris et la fleur de la Gascogne, lui qui vous dira l’âge de toute espèce de vin, rien qu’à en sentir le parfum ; lui qui distille ses sauces dans un alambic, à l’aide de la philosophie de Raimond Lulle ; qui découpe avec une précision si exquise, qu’il donne au noble chevalier ou au simple écuyer la portion exacte de faisan qui convient à son rang ; qui même vous séparera un becfigue en douze parts avec une justesse si scrupuleuse que, de douze convives, aucun n’aura l’avantage sur l’autre de l’épaisseur d’un cheveu ou de la vingtième partie d’une drachme ! et cependant vous pouvez parler de lui et d’un écot dans la même phrase ! Vous ignorez donc qu’il est l’arbitre général et bien connu dans tout ce qui touche les mystères du passage du hasard, du dedans et dedans, du penneck et du verquire[1] ? et que sais-je moi ? Beaujeu est le roi du jeu de cartes et le prince des dés. Lui, demander un écot comme le fils d’un grossier tournebroche à nez rouge et à tablier vert ! Ô mon cher Nigel, quel mot avez-vous prononcé ! et en parlant de qui ? Votre seule excuse, pour un tel blasphème, c’est que vous ne le connaissez pas ; et cependant c’est tout au plus si je la regarde comme valable ; car, être resté un jour à Londres sans connaître Beaujeu, cela seul est un crime. Mais vous allez le voir dans ce bienheureux moment, et vous apprendrez à vous regarder vous-même avec horreur pour les sacri-

  1. Différents noms du Jeu de cartes. a. m.