Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/166

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quelque sorte à son père, car il était probable que d’un moment à l’autre on viendrait lui en demander le prix, qui était de cinquante livres. Sir Mungo ne manqua pas de répéter au comte cette agréable nouvelle, en l’arrangeant à sa manière. « Son fils, lui dit-il, s’entendait mieux à faire des marchés que Sa Seigneurie ; car il avait acheté un justaucorps aussi riche que celui que Sa Seigneurie portait lorsque l’ambassadeur d’Espagne fut reçu à Holy Rood, et ce vêtement ne lui coûtait que cinquante livres d’Écosse[1], ce qui n’était pas un marché de fou. — Livres sterling, s’il vous plaît, milord, répondit le comte avec calme, — et c’est bien un marché de fou dans tous les temps du verbe… Dalgarno fut un fou quand il acheta ; je serai un fou quand je paierai ; et vous, sir Mungo, je vous demande bien pardon, vous êtes un fou in prœsenti de discuter ce qui ne vous regarde pas. »

En parlant ainsi, le comte s’occupa de l’affaire sérieuse pour laquelle on était à table : il fit circuler la bouteille avec une rapidité qui augmenta la gaieté tout en menaçant la tempérance de ses convives. Mais bientôt la joie fut interrompue : on vint annoncer que l’écrivain avait dressé les actes qui pressaient le plus. À l’instant même, George Heriot se leva de table en disant qu’il ne convenait pas de faire aller de pair les verres et les conversations d’affaires. Le comte demanda d’abord au scribe si on lui avait mis un couvert dans l’office, et en reçut cette réponse respectueuse : « À Dieu ne plaise qu’il fût assez animal pour avoir songé à manger ou à boire avant d’avoir exécuté les ordres de Leurs Seigneuries ! — Tu mangeras avant de partir, répliqua lord Huntinglen, et je veux que tu essaies de plus si un verre de Canaries ne parviendra pas à faire monter quelques couleurs sur tes joues ; ce serait une honte pour ma maison qu’on t’en vît sortir et te glisser dans le Strand avec cette figure de spectre que tu as maintenant… Veillez à ce qu’on lui donne bien à dîner, Dalgarno, car l’honneur de notre maison y est intéressé. »

Lord Dalgarno donna des ordres pour qu’on servît cet homme. Pendant ce temps, lord Huntinglen et le marchand signaient les actes dont ils prirent chacun une copie, terminant de cette manière une affaire dont la partie principale ne savait guère autre chose, sinon qu’elle était confiée à la prudence d’un ami fidèle et zélé, qui se chargeait de procurer l’argent, et de dégager les

  1. La livre d’Écosse n’est guère que la vingtième partie de la livre sterling d’Angleterre, qui représente 25 francs de notre monnaie. a. m.