Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 17, 1838.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gatelle, monsieur, c’est un exemplaire de surplus… veuillez bien, je vous prie, recommander cet ouvrage aux hommes de lettres vos amis. » Je ne parle pas de la petite société littéraire bien choisie, attablée autour d’un turbot, d’un gigot de mouton de cinq ans, ou autre mets semblable, ni de la circulation d’une bonne bouteille de la meilleure bière forte de Robert Cockburn, ou peut-être de son meilleur genièvre[1], pour animer notre conversation sur d’anciens livres, ou nous encourager à en composer de nouveaux. De semblables douceurs sont réservées aux membres de la corporation des lettres, et j’ai l’avantage d’en jouir dans toute leur étendue.

Mais tout change sous le soleil, et c’est avec un sentiment de regret peu ordinaire que, dans mes visites annuelles à la métropole, je ressens l’absence de l’accueil affectueux et cordial du spirituel et obligeant ami qui me fit d’abord connaître au public : il possédait à lui seul assez d’esprit naturel pour faire la réputation d’une douzaine de diseurs de bons mots, et une originalité assez piquante pour faire la fortune d’un pareil nombre. À cette privation fort sensible s’est jointe la perte qui, j’espère, ne sera que momentanée, d’un autre libraire de mes amis, dont l’esprit vigoureux et les idées libérales ont fait de son pays natal l’entrepôt de la littérature contemporaine, et qui a établi dans cette capitale une cour littéraire, faite pour inspirer le respect à ceux qui sont le plus disposés à s’écarter de ses statuts. L’effet de ces changements, opérés en grande partie par le sens ferme et les judicieux calculs d’un individu qui sut tirer le parti le plus inattendu et le plus inespéré des divers genres de talent produits par son pays, sera probablement plus frappant encore pour la génération qui suivra la nôtre.

J’entrai l’autre jour dans la boutique At the Cross pour demander des nouvelles de la santé de mon digne ami, et j’appris avec satisfaction que sa résidence dans le midi avait diminué la violence des symptômes de sa maladie. M’autorisant alors des privilèges dont j’ai parlé, je m’enfonçai dans le labyrinthe de petites salles obscures, ou cryptes, pour parler le langage de nos antiquaires, qui forment les derrières de ce vaste et célèbre établissement de librairie. Cependant, tout en traversant, toujours au milieu des ténèbres, une suite de pièces remplies les unes de vieux bouquins, les au-

  1. Best blew, dit le texte, expression d’argot, pour désigner l’eau-de-vie de grain, et que l’auteur fait contraster avec black, mot qui désigne la bière forte.