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dans le monde, tel qu’il est. Mais quant à Tressilian, je dois lui rendre justice (car j’ai eu des torts envers lui, et personne ne le sait mieux que vous), sa conscience est tout autre. Le monde dont vous parlez n’a rien qui puisse le détourner du sentier de l’honneur et de la vérité ; et quand on le verra y vivre avec une réputation souillée, l’hermine ira se blottir dans la tanière du sale putois. C’est pour cela que mon père l’aimait, et que je l’eusse aimé si je l’avais pu. Cependant, ignorant mon mariage et à qui j’étais unie, il croyait avoir de si puissants motifs de me tirer d’ici, que j’aime à croire qu’il aura beaucoup exagéré l’indisposition de mon père, et que les nouvelles meilleures que vous me donnez peuvent être les plus vraies.

— Soyez-en persuadée, madame. Je n’ai pas la prétention d’être le champion à outrance de cette vertu toute nue qu’on appelle la vérité ; je consens à ce que ses charmes soient couverts d’un voile, ne fût-ce que par amour pour la décence : mais vous auriez une opinion trop défavorable de ma tête et de mon cœur, si vous supposiez que je pusse, de propos délibéré, et sans nécessité, vous faire un mensonge si facile à découvrir, et sur un sujet qui touche de si près à votre bonheur.

— Monsieur Varney, dit la comtesse, je sais que milord vous estime, et qu’il vous regarde comme un pilote sûr et habile au milieu de ces mers sur lesquelles il s’est lancé avec une hardiesse si aventureuse. Ne croyez donc pas que j’aie mauvaise opinion de vous, quand, par amour de la vérité, je prends ainsi la défense de Tressilian. Je suis, vous le savez, une provinciale, qui préfère la simple vérité aux compliments de cour ; mais je vois qu’en changeant de sphère il faudra que je change d’habitudes.

— C’est vrai, madame, » dit Varney en souriant, « et quoique vous plaisantiez maintenant, il ne serait pas impossible que ce que vous venez de dire s’accordât un peu avec vos intentions réelles… Une femme de la cour, la plus noble, même la plus vertueuse, la plus irréprochable de toutes celles qui entourent le trône de notre reine ; une femme, dis-je, se serait, par exemple, bien gardée de dire la vérité, ou ce qu’elle aurait cru la vérité, à la louange d’un amant éconduit, devant le serviteur et le confident de son noble époux.

— Et pourquoi, » dit la comtesse en rougissant d’impatience, « ne rendrais-je pas justice au mérite de Tressilian, devant l’ami de mon époux, devant mon mari lui-même, devant le monde entier ?