Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/75

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ser avec les sentiments de ton excellent cœur, que mon pauvre père ignore quel est mon sort, qu’il est malade et plongé dans le chagrin à cause de moi qui le mérite si peu. Mais je le rendrai bientôt à la gaîté… La nouvelle de mon bonheur et de ma haute fortune le rajeunira… Cependant, pour lui rendre plus vite sa gaîté, « ajouta-t-elle en s’essuyant les yeux, « il faut que je sois gaie moi-même. Il ne faut pas que milord me trouve insensible à sa tendresse, ni triste quand il vient faite par hasard une visite à sa recluse après une si longue absence. Réjouis-toi, Jeannette ; la nuit approche, et milord va bientôt arriver… Dis à ton père de venir… Je ne leur en veux pas ; et quoique j’aie à me plaindre d’eux, ce sera leur faute si jamais le comte entend de moi la moindre plainte sur leur compte… Va les appeler, Jeannette. »

Jeannette Foster obéit à sa maîtresse, et, peu de minutes après, Varney entra dans le boudoir avec l’aisance gracieuse et le front serein d’un courtisan accompli qui sait déguiser ses sentiments sous le masque de la politesse pour mieux pénétrer ceux des autres. Antony Foster entra après lui ; son air sombre et commun ressortait davantage par les efforts maladroits qu’il faisait pour dissimuler l’inquiétude mêlée de déplaisir avec laquelle il voyait celle sur qui il avait exercé jusqu’alors une surveillance si sévère, vêtue si magnifiquement et parée de tant de gages de la tendresse de son époux. La révérence gauche qu’il fit plutôt à que pour la comtesse ne le montra que trop bien : c’était la révérence que le criminel fait à son juge quand il avoue son crime et implore son pardon ; révérence qui est en même temps un effort embarrassé pour se défendre et se justifier et un humble appel à l’indulgence.

Varney qui, par le droit que lui donnait sa noblesse, était entré dans la chambre avant Foster, savait mieux ce qu’il avait à dire, et le dit avec plus d’assurance et de meilleure grâce.

La comtesse le salua avec un air de cordialité qui semblait être une amnistie complète pour tout ce dont elle avait pu avoir à se plaindre. Elle se leva de son siège, fit deux pas en avant, et lui dit en lui présentant la main : « Monsieur Richard Varney, vous m’avez apporté ce matin de si bonnes nouvelles, que je crains que la surprise et la joie ne m’aient fait oublier la recommandation que m’a faite milord, mon époux, de vous accueillir avec distinction. Nous vous offrons notre main, monsieur, en signe de réconciliation.

— Je suis indigne de la toucher, » dit Varney en fléchissant le genou, « sinon comme un sujet touche celle d’un prince. »