Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/49

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me reste d’une somme aussi ronde qu’un homme puisse désirer de la porter dans son gousset. Tu es ici bien établi, à ce qu’il me semble, et, à ce que je pense, bien appuyé ; car on dit que tu es sous certaine protection spéciale qui te permet de danser dans un filet sans qu’on te voie. Or je sais qu’une pareille protection ne s’achète pas pour rien, tu dois avoir quelques services à faire en échange, et c’est pour cela que je viens t’offrir mon assistance.

— Mais si je n’ai pas besoin de toi, Michel ? je pense que ta modestie peut regarder ce cas comme possible.

— C’est-à-dire, riposta Lambourne, que tu aimerais mieux faire toute la besogne que de partager le salaire ; mais garde-toi d’être trop avare, Tony ; l’avarice fait crever le sac, et le grain se perd[1]. Regarde le chasseur quand il va tuer le cerf, il emmène avec lui plus d’un chien ; il a le franc limier pour suivre par monts et par vaux la piste de l’animal blessé, mais il a aussi l’agile lévrier pour l’atteindre sur-le-champ. Tu es le franc limier, moi le lévrier : ton patron doit avoir besoin des deux, et peut bien trouver de quoi les payer. Tu as une profonde sagacité, une ténacité infatigable, et, pour le mal, une activité naturelle qui surpasse la mienne ; mais aussi je suis plus hardi, plus vif, plus prompt dans l’action et dans les expédients. Séparées, nos qualités sont insuffisantes ; mais unissons-les, et nous mènerons le monde entier. Qu’en dis-tu ?… chasserons-nous de compagnie ?

— C’est la proposition d’un chien hargneux… Tu viens flairer mes affaires privées ; mais tu n’as jamais été qu’un chien mal dressé.

— Tu n’auras pourtant pas à te plaindre de moi, à moins que tu ne repousses mon offre, dit Lambourne ; mais si tu le fais, tiens-toi bien en garde, seigneur chevalier, comme dit le roman. Je serai de moitié dans tes projets, ou je les traverserai ; car je suis venu dans le but de travailler pour ou contre toi.

— Eh bien ! dit Foster, puisque tu me laisses un si beau choix, j’aime mieux être ton ami que ton ennemi. Tu as raison, je puis te taire entrer au service d’un patron qui a le moyen de nous employer, nous et une centaine d’autres ; et comme tu dis, tu as tout ce qu’il faut pour faire son affaire. Il faut de l’audace et de la dextérité ; à cet égard les registres de la justice témoignent en la faveur ; qu’on ne soit arrêté par aucun scrupule : qui te soupçonna jamais d’avoir une conscience ? Il faut de l’assurance à qui veut ser-

  1. Covetousness bursts the sack and spills the grain. a. m.