Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/422

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mécontente, de la jalousie ou du ressentiment, ce cœur renfermait alors un hôte encore plus terrible, dont le cri ne pouvait être étouffé ni réduit au silence. L’on pouvait lire dans son œil distrait et sur son front sourcilleux que ses pensées étaient bien loin des lieux où il s’efforçait de faire bonne contenance. Ses regards, ses gestes, ses paroles, semblaient être le résultat d’une suite d’efforts continuels ; on eût dit que sa volonté avait en quelque sorte perdu la promptitude de son empire sur son esprit pénétrant et sur sa noble personne. Ses actions et ses gestes, au lieu de paraître la conséquence de la simple volonté, semblaient, comme ceux d’un automate, attendre la révolution de quelque machine intérieure avant de pouvoir s’accomplir ; et ses lèvres laissaient échapper ses paroles une à une, comme s’il eût dû penser d’abord à ce qu’il devait dire, puis de quelle manière il devait le dire, et comme si, après tout, ce n’eût été que par l’effort d’une attention continue qu’il achevait une phrase sans oublier l’un et l’autre.

Les effets singuliers que ces distractions produisaient sur les manières et la conversation du courtisan le plus accompli de l’Angleterre, et dont s’apercevait le plus humble et le dernier des domestiques qui approchaient de sa personne, ne pouvaient échapper à l’attention de la princesse la plus pénétrante de ce siècle. On ne peut pas douter non plus que la négligence et le désordre de sa conduite n’eussent attiré au comte de Leicester le plus sévère mécontentement de la part d’Élisabeth ; heureusement elle crut y voir le résultat de la crainte inspirée par ce mécontentement qu’elle avait exprimé le matin même avec tant de vivacité, et pensa qu’en dépit de tous les efforts du comte, cette crainte altérait l’aisance gracieuse qui lui était habituelle, et s’opposait au libre développement de son esprit aimable. Lorsque cette idée si flatteuse pour la vanité d’une femme se fut une fois emparée de l’imagination d’Élisabeth, elle servit à excuser de la manière la plus complète et la plus satisfaisante les nombreuses méprises et les distractions du comte de Leicester ; et le cercle attentif qui les entourait remarqua avec étonnement que, loin d’être irritée de ses négligences répétées et de son défaut continuel d’attention (points sur lesquels elle était ordinairement fort rigoureuse), la reine cherchait à lui donner le temps et les moyens de se remettre, avec une indulgence qui paraissait incompatible avec son caractère naturel. Il était évident cependant qu’Élisabeth n’aurait pas long-temps toléré l’inconvenance de cette conduite, et aurait fini par lui donner une interprétation différente