Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/392

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rait de lancer. Mais Leicester était à la poursuite d’un autre gibier, ou, pour lui rendre plus de justice, il se trouvait engagé sans préméditation, comme l’amateur de la chasse qui s’écarte de son chemin pour suivre une meute dont il entend au loin les aboiements. La reine, femme aussi belle qu’accomplie, l’orgueil de l’Angleterre, l’espoir de la France et de la Hollande, la terreur de l’Espagne, avait probablement accueilli avec plus de bonté qu’à l’ordinaire ce mélange de galanterie romanesque dont l’hommage lui était si agréable, et le comte, cédant à la vanité ou à l’ambition, peut-être à ces deux sentiments, avait employé des expressions de plus en plus animées, jusqu’à ce que son langage fût devenu celui de l’amour même.

« Non, Dudley, » disait Élisabeth ; mais, en parlant ainsi, sa voix était entrecoupée ; « non, je dois être la mère de mon peuple : d’autres liens, qui font le bonheur d’une femme obscure, sont refusés à une souveraine. Non, Leicester, ne me pressez pas davantage… Si j’étais, comme les autres femmes, libre de songer à ma félicité, alors peut-être… Mais cela ne se peut… cela ne saurait être… Retardez la chasse d’une demi-heure, et laissez-moi, milord.

— Quoi ! vous laisser, madame ! Ma folie vous aurait-elle offensée !

— Non, Leicester, non, non, répondit la reine ; mais c’est une folie, et il ne faut pas la répéter. Allez, mais ne vous éloignez pas trop ; et en attendant, que personne ne vienne me troubler : je veux être seule. »

Élisabeth ayant parlé ainsi, Dudley lui fit un salut, et se retira avec lenteur et de l’air le plus mélancolique. Elle resta un moment à le regarder, et murmura : « S’il était possible… si je pouvais seulement… Mais non, non ; Élisabeth ne doit être la femme et la mère que de l’Angleterre seule. »

En se disant ces mots, et afin d’éviter la rencontre de quelqu’un qu’elle entendait approcher, la reine fit un détour, et entra dans la grotte où se tenait cachée sa malheureuse rivale, objet infortuné d’un amour qui lui avait été si fatal.

L’âme d’Élisabeth d’Angleterre, quoiqu’un peu ébranlée par l’agitation que lui avait causée l’entrevue à laquelle elle venait de mettre un terme, était de cette trempe ferme et décidée qui retrouve bientôt toute sa vigueur. Elle pouvait être comparée à un de ces monuments druidiques appelés pierres mouvantes. Le doigt de Cupidon, tout enfant qu’on nous le représente, pouvait agiter son esprit, mais la puissance d’Hercule n’aurait pu détruire son équili-