Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/354

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de nuit ; tu as remplacé tes chansons par des cris lugubres, et abandonné la bonne compagnie pour un buisson de lierre.

— Et quelle espèce d’animal es-tu donc toi-même, Raleigh, demanda Tressilian, pour nous traiter tous si lestement ?

— Qui ? moi ! répondit Raleigh, je suis un aigle qui n’ai pas une pensée à donner à cette terre toute matérielle, tant qu’il y aura un ciel vers lequel je pourrai diriger mon vol, un soleil que mon œil pourra fixer.

— Par saint Barnabé ! voilà de belles fanfaronnades, dit Blount ; mais, monseigneur l’aigle, prenez garde à la cage et surtout à l’oiseleur. Plus d’un oiseau, qui avait volé aussi haut, a été empaillé et a servi d’épouvantail aux autres. Mais chut ! quel profond silence vient de se faire tout-à-coup ?

— C’est, dit Raleigh, la procession qui s’arrête à la porte du parc, où une sibylle, l’une des fatidicœ, doit aller au devant de la reine pour lui dire sa bonne aventure. J’ai vu les vers qu’elle doit lui présenter : ils ont peu de sel, et Sa Grâce a déjà été rassasiée de tous ces compliments poétiques. Pendant que l’assesseur la haranguait, lorsqu’elle entra sur les franchises du comte de Warwick, elle me dit tout bas à l’oreille, qu’elle était pertœsa barbarœ loquelœ[1].

— La reine lui a parlé bas à l’oreille, » dit Blount comme se parlant à lui-même. « Bon Dieu ! il ne faut plus s’étonner de rien en ce monde. »

Ici ses réflexions furent interrompues par une salve d’applaudissements qui partit du sein de la multitude, avec un bruit si terrible que le pays en retentit à plusieurs milles à la ronde. Les gardes placés en foule sur la route répétèrent ces acclamations, qui se communiquèrent comme une étincelle électrique jusqu’au château, et annoncèrent à tout le monde que la reine Élisabeth venait d’entrer dans le parc royal de Kenilworth. Toute la musique du château commença en même temps, et l’on tira des remparts une salve d’artillerie accompagnée d’une décharge de mousqueterie ; mais le son des tambours et des trompettes, celui même du canon, ne furent entendus que faiblement au milieu des cris et des acclamations répétées de la multitude.

Lorsque le bruit commença à s’affaiblir, on vit paraître près de la porte du parc un grand éclat de lumière qui, s’élargissant et devenant plus vif à mesure qu’il s’approchait, s’avança le long de la

  1. Fatiguée de ce langage barbare. a. m.