Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/323

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toute sa coiffure consistait en une forêt de cheveux noirs qui tombaient des deux côtes d’une de ces grosses figures hébétées, telles qu’en ont souvent les hommes d’une stature extraordinaire, et qui, malgré d’honorables exceptions, ont fait naître un préjugé fort commun contre les géants, et les ont fait regarder comme des êtres stupides et insociables. Ce redoutable portier était armé, comme de raison, d’une lourde massue garnie de pointes d’acier ; en un mot, il représentait à merveille un de ces géants fabuleux qui figurent dans tous les contes de fée, ou dans les romans de chevalerie. Les manières de ce moderne Titan, lorsque Wayland arrêta son attention sur lui, avaient quelque chose qui dénotait beaucoup d’embarras et de mécontentement ; de temps en temps il s’asseyait sur un vaste banc de pierre qui semblait avoir été placé pour lui près de la porte, puis tout-à-coup il se levait, grattait son énorme tête, et marchait de long en large devant son poste, comme un homme en proie à l’impatience et à l’anxiété. Ce fut tandis que le géant se promenait devant la porte, dans cet état d’agitation, que Wayland, d’un air modeste mais pourtant assuré, quoiqu’au fond il ne fût pas sans crainte, se présenta pour passer outre et pénétrer sous le guichet. Le portier l’arrêta dans sa marche en lui criant d’une voix de tonnerre : « Retirez-vous ! » et il appuya son injonction en levant sa terrible massue et la laissant retomber devant le nez du cheval de Wayland avec une telle force que le feu jaillit du pavé, et que la voûte du guichet en retentit. Wayland, profitant d’un avis de Dickie, exposa qu’il appartenait à une troupe de comédiens auxquels sa présence était indispensable ; qu’il avait été retenu en arrière par un accident, et d’autres raisons semblables. Mais le Cerbère se montra inexorable, et continua à marmotter entre ses dents quelques paroles auxquelles Wayland ne comprenait que fort peu de chose, et qu’il interrompait de temps en temps par des refus d’admission, exprimés en termes qui n’étaient que trop intelligibles. Voici un échantillon de son discours : « Qu’est-ce à dire, mes maîtres ?… (se parlant à lui-même) C’est un tumulte… c’est un vacarme !… (puis à Wayland) Vous êtes un coquin de fainéant, et vous n’entrerez pas… (à lui-même) C’est une foule… c’est une presse ! Je ne m’en tirerai jamais !… C’est une… hom !… ah !… (à Wayland) Quitte la porte, ou je te casse la tête ! (à lui-même) C’est une… Non… non… je ne m’en tirerai jamais !… »

« Restez là, » dit tout bas Flibbertigibbet à l’oreille de Wayland ; « je sais où le bât le blesse, en un instant je vais l’apprivoiser. »