Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/315

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la vie humaine ! Tous ces individus flottaient au milieu d’un immense débordement de la population que la seule curiosité avait attirée. Ici l’ouvrier avec son tablier de cuir coudoyait l’élégante dame à laquelle il obéissait à la ville ; là des paysans avec leurs souliers ferrés marchaient sur les pieds de braves bourgeois et de dignes gentilshommes ; plus loin, Jeanne la laitière à la démarche lourde et aux gros bras rouges, se frayait un chemin au milieu de ces poupées bien délicates et bien jolies, dont les pères étaient chevaliers ou écuyers.

Cependant au milieu de cette foule et de cette confusion régnait la plus franche gaîté. Tous venaient pour se divertir et tous riaient de ces petits inconvénients qui, en d’autres temps, eussent échauffé leur bile. À l’exception des disputes passagères qui s’élevaient, ainsi que nous l’avons dit, parmi la race irritable des charretiers, tous les accents confus qui se faisaient entendre au sein de cette multitude étaient ceux du contentement et de la plus vive allégresse. Les musiciens préludaient sur leurs instruments, les ménestrels fredonnaient leurs chansons ; le bouffon privilégié poussait des cris moitié gais, moitié fous, en agitant sa marotte ; les danseurs moresques secouaient leurs clochettes, les paysans criaient et sifflaient : au gros rire des hommes répondaient les éclats perçants de celui des femmes ; tandis que de grosses plaisanteries envoyées d’un côté de la route, comme un volant, étaient saisies à la volée et renvoyées par celui à qui elles étaient adressées.

Il n’y a peut-être pas de plus grand supplice pour une personne absorbée par la tristesse que de se trouver jetée au milieu d’une scène de fête et de réjouissance dont l’aspect riant forme un contraste si pénible avec l’état de son âme. Dans cette circonstance, cependant, le bruit et le tumulte de cette scène bizarre, en changeant le cours des pensées d’Amy, l’empêcha de s’appesantir sur son infortune et de s’abandonner à de tristes pressentiments sur sa prochaine destinée. Elle poursuivait sa marche comme au milieu d’un songe, suivant aveuglément Wayland qui, avec la plus grande adresse, tantôt lui frayait un passage à travers le gros de la foule, tantôt s’arrêtait pour attendre une occasion favorable d’avancer de nouveau, et souvent aussi, s’écartant de la route directe, prenait des chemins détournés qui les ramenaient sur la grande route après leur avoir procuré la satisfaction de faire un trajet considérable avec plus d’aisance et de rapidité.

Ce fut ainsi qu’il évita Warwick dont le château (magnifique