Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 15, 1838.djvu/288

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mal ; et je suis venue ici en toute hâte pour vous dire qu’un moyen de fuir vous est offert.

— Fuir ! » s’écria la comtesse en se levant précipitamment de son siège, tandis que ses yeux reprenaient leur éclat et ses joues leur vivacité ; « mais, hélas ! Jeannette, il est trop tard !

— Non, ma chère maîtresse… Levez-vous, prenez mon bras ; faites un tour d’appartement… Ne laissez pas votre imagination faire l’effet du poison. C’est cela ; ne sentez-vous pas que vous reprenez l’entier usage de vos membres ?

— L’engourdissement semble diminuer, » dit la comtesse en se promenant dans la chambre, appuyée sur le bras de Jeannette ; « mais est-il bien vrai que ce breuvage n’est pas mortel ? Varney est venu ici après que tu as été partie, et il m’a ordonné, avec des yeux dans lesquels j’ai lu ma destinée, d’avaler cette horrible boisson. Ô Jeannette ! elle doit être mortelle ! Jamais breuvage innocent ne fut servi par un semblable échanson !

— Je ne l’ai pas cru innocent, je ne le crains que trop ; mais Dieu confond les desseins des méchants. Croyez-moi, je le jure par le saint Évangile, auquel nous avons foi, votre vie est à l’abri de ses coupables pratiques. Ne lui avez-vous pas résisté ?

— Le silence régnait dans toute la maison ; tu étais dehors ; personne que lui dans la chambre, que cet homme capable de tous les crimes. Je stipulai seulement qu’il me délivrerait de son odieuse présence, et je bus tout ce qu’il me présenta… Mais tu me parles de fuite. Jeannette, suis-je donc si heureuse ?

— Êtes-vous assez forte pour supporter cette nouvelle, et vous sentez-vous capable d’un pareil effort ?

— Assez forte ! s’écria la comtesse. Demande à la biche, lorsque les dents du limier sont prêtes à la saisir, si elle est assez forte pour franchir le ravin[1]. Je suis capable de tout effort qui aura pour effet de me tirer de ce séjour.

— Écoutez-moi donc, dit Jeannette. Un homme que je crois vous être entièrement dévoué, s’est montré à moi sous divers déguisements, a cherché à entrer en conversation avec moi, ce que… jusqu’à ce soir que j’ai commencé à voir clair… j’avais toujours évité. C’est le colporteur qui vous a apporté ces marchandises, le bouquiniste ambulant qui m’a vendu ces livres ; chaque fois que je sortais, partout où j’allais, j’étais sûre de le rencontrer. L’événement

  1. Ask the hind when the fangs of the deerhound are stretched to gripe her, if she is strong enough to spring the Chasm ; pensée énergiquement exprimée. a. m.